Yves Philippe de FRANCQUEVILLE, pirate des mots et philanalyste en herbe présente
l'ACTE II de la pièce de théâtre
Le Chalet Bleu, une psycomédie :
l'ACTE II de la pièce de théâtre
Le Chalet Bleu, une psycomédie :
Acte II
[Le rideau se lève (ou s'ouvre) sur la fin du repas, les uns et les autres sortent de la cuisine.
Tous déposent des plats et assiettes dans la cuisine. Certains y restent (Thérèse, Yvane, Anne) ; les autres se dirigent vers le coin salon près de la cheminée].
Scène 1
Anne :
— Merci pour ce bon repas…
Tous entre eux [Ilan, Jeanne, H.D, André, Yvane] :
— Ah oui… Merci,
— Oui vraiment…
— C’était excellent !
— Un grand merci…
John :
— Ce fut un vrai plaisir…
André :
— Quelle histoire…
Quelle histoire !
Se retrouver ainsi perdus dans la montagne
Et après tant d'années.
Retrouvailles à l’âge adulte, sans trauma…
Une belle aventure !
J’ai pu écrire quelques notes sur vous deux !
Votre état psychologique est passionnant.
Merci !
H.D :
— Oui, ces marches en montagne sont constructives
Elles permettent d'échanger sympathiquement,
Lors de rencontres improbables comme ici !
C’est le chic du refuge !
À l’hôtel, je n’ai pas ce plaisir de parler
Sans gêne à l’inconnu.
[À Thérèse]
Une aide substantielle,
Peut-être ?
[Thérèse lui tend un torchon]
Oui ?
Madame ?
[À Kate]
Viens donc ma chère Kate…
Te souviens-tu de la dernière fois que nous
Avons fait la vaisselle ?
[Kate et H.D reviennent à la cuisine, aider Thérèse à ranger les restes du dîner et faire la vaisselle].
Jeanne :
— Mon cœur, après ce bon repas où tu as si…
Gentiment fait tout le service, il est grand temps
De laisser notre hôte et les montagnards un peu
Agir et d'aller nous coucher. Je suis vraiment
Complétement vannée !
André :
— Bientôt ma chère Jeanne…
J’avais promis de voir
Comment résoudre un problème de chasse d'eau.
Ilan :
— Mais non…
Restez donc tous les deux.
Vous vous reposerez demain chez l'oncle Jean…
Il y a encore bien des choses ce soir
À découvrir ensemble…
Anne :
— En alcool ?
Kate :
— Ah…
Moi je ne bois plus.
Le dîner était suffisamment arrosé !
[John apporte une nouvelle bouteille]
John :
— J’ai retrouvé cette merveille… un vrai bijou !
Yvane [en sentant] :
— Un parfum très subtil ?
Ilan [se précipitant pour sentir à son tour] :
— Oh… le petit dernier miracle à exaucer !
Pour la route !
[Il se sert, respire… hume son verre]
Quelle folie…
[Il goûte]
C'est fameux !
Je crois que je n'en ai jamais bu…
Cependant…
C’est magique !
Kate [qui sent à son tour] :
— Il y a comme, comme…
H.D [intéressé aussi] :
— Oui…
C’est… de la coco…
Hum… je voulais dire de la noix de coco !
Ilan :
— Absolument.
Je connais ça !
Toute ma vie…
De la noix de coco…
[Il vide son verre d'un trait].
John :
— Y'en a.
Anne :
— Tu vas finir bourré,
Ilan ?
Ilan :
— Je n'ai JAMAIS été bourré.
Jamais…
[Il se ressert et vide de nouveau son verre "cul sec"]
"Farpaitement" !
André :
— Dans certaines circonstances cela serait
Peut-être mieux qu'il soit complètement ivre ?
Anne :
— Tu vas finir par dire
N'importe quoi, chéri !
Et tu vas rire comme un crétin puis pleurer
Comme une madeleine.
[John, accompagné de son chien, s'assoit près de la cheminée]
André [se rapprochant] :
— Tremper la madeleine de Proust dans du rhum
Coco… je vis une première originale
Pour débuter une thérapie de groupe.
[CHANSONNETTE SUR LA MADELEINE
PAR André :]
Il suffit parfois
D’un son
D’un parfum
D’une image
Et les souvenirs se pressent…
Une angoisse
Un regard
La cloche qui sonne,
Une saveur
Une voix
Hier est de retour…
Le présent se bouscule
Avec un passé oublié.
Marcel, Marcel
Reviens !
Ta madeleine est de retour :
La recherche du temps perdu
Ce soir
Je crois
Est un succès !
Nous sommes prêts
C’est l’heure
De révéler l’histoire
Autour d’un verre
De Rhum coco !
Il suffit parfois
D’un son
D’un parfum
D’une image
Et les souvenirs se pressent…
Une angoisse
Un regard
La cloche qui sonne,
Une saveur
Une voix
Hier est de retour…
Le présent se bouscule
Avec un passé oublié.
PAR André :]
Il suffit parfois
D’un son
D’un parfum
D’une image
Et les souvenirs se pressent…
Une angoisse
Un regard
La cloche qui sonne,
Une saveur
Une voix
Hier est de retour…
Le présent se bouscule
Avec un passé oublié.
Marcel, Marcel
Reviens !
Ta madeleine est de retour :
La recherche du temps perdu
Ce soir
Je crois
Est un succès !
Nous sommes prêts
C’est l’heure
De révéler l’histoire
Autour d’un verre
De Rhum coco !
Il suffit parfois
D’un son
D’un parfum
D’une image
Et les souvenirs se pressent…
Une angoisse
Un regard
La cloche qui sonne,
Une saveur
Une voix
Hier est de retour…
Le présent se bouscule
Avec un passé oublié.
John :
— Pas tout-à-fait du Rhum…
C'est juste une eau-de-vie de graines d'épeautre
Distillée avec en sus — comme un Grand-Marnier®
Qui préconise généralement l'orange —
J'ai osé la noix de coco fraîche… trois fois !
Kate :
— Séduisant en effet…
Mais je préfère rire
Sans boire…
Puis-je fumer ?
Jeanne :
— NON !
Je ne supporte pas l’odeur du tabac.
Yvane [sortant un paquet de cigarettes très original] :
— Tu n'as jamais fumé ?
Jeanne :
— JAMAIS, jamais, JAMAIS.
André :
— Ah ?
Yvane :
— Près de la cheminée…
Il n’y a pas d’odeur…
Pour déranger les autres.
Ilan [bien gai] :
— Ah !
Ah…
C'est fou mais ce petit goût de coco…
Cela me rappelle…
Ah ah ah…
Non…
Oh…
C’est fou…
Kate :
— Encore ?
André :
— C'est parti !
Anne :
— C'est arrivé plutôt !
Il est fait.
Je vais le coucher.
Yvane :
— Non,
S'il te plaît, laisse-le
Tant qu'il n'est pas malade.
Il est très bon acteur et nous sommes bon public…
H.D :
— Oh oui !
Allez, s'il vous plaît cher ami… une autre histoire ?
Ilan :
— En fait, c'est une aventure super ancienne
[Il baille]
Et qui s'est vraiment vraiment trop mal terminée…
Tous :
— Oh ?!
Jeanne :
— Pipi…
Kate :
— Moi aussi…
Attendez-nous pour la suite !
[Elles sortent par la porte des WC].
Scène 2
Ilan :
— J'avais six ou sept ans…
Nous étions une belle bande de copains
Dans un camp de vacances…
Je crois ?
C’est loin…
Ah… oui ?
Je me souviens très bien…
Je viens d’avoir huit ans…
L’été, évidemment !
[Il se ressert à boire]
On fête mon anniversaire, un 4 août…
Tiens ? Comme cette nuit !
Il y a ce soir-là une très belle fête…
[Il boit son verre par petites gorgées]
Le couchage imposé,
Je voudrais encore prolonger la soirée.
C’est dans notre cachette.
Un grenier à foin au-dessus d'une des granges.
Ce soir, nous sommes quatre…
Oui… quatre à faire le mur.
Deux garçons et deux filles
Tous presque du même âge.
Les… « Les Inséparables ».
[Les filles reviennent].
Scène 3
Kate :
— On n'a pas trop perdu ?
Jeanne :
— J’ai raté quoi ?
Anne :
— Oh, rien…
Les présentations du club des 5, sans le chien.
Ilan :
— Très pas drôle !
Si vous m'interrompez,
[Baillant sévèrement]
J’vais m'endormir direct !
H.D :
— Oh non, non !
Surtout pas…
André :
— C'est si riche, il y a tant à analyser !
Ilan :
— Silence cher public !
Anne :
— N'en fais pas trop quand même,
Mon grand chéri d’amour !
Ilan :
— C'est sûr !
Projecteurs…
[La lumière se centre sur lui]
Oui.
Nous étions quatre, unis…
Liés, liés… tout comme…
Comme les doigts… d'ma main.
J'avais piqué au directeur deux-trois bouteilles
De punch coco de sa collection, trois peut-être
Ou quatre, même…
Oui… et…
À sa femme, une cartouche entière de clopes…
Plutôt originales…
Je me souviens, c'est drôle
Des cigarettes comme les tiennes, Yvane !
Yvane :
— Ah… celles de Thérèse !
Thérèse :
— Ah oui ?
Une cartouche entière ?
Tu m'en passes une d'ailleurs, ma chère Yvane ?
H.D :
— Magnifique…
La mémoire qui se précise.
André :
— Tout cela est vraiment très très intéressant.
Anne :
— Chut.
Continue Ilan !
Ilan :
— Eh bien, cette nuit là…
La fête continuait pour nous quatre alors
Que le sommeil avait gagné tous les autres
Jeunes enfants bien sages…
Nous étions ravis, heureux, pleins de passion !
Et…
NON !
NON, non…
C'est trop…
[Il pleure].
Anne :
— Le grand classique !
Allez,
Vite au lit, mon amour !
Jeanne :
— Oui… c'est peut-être préférable… moi aussi…
Je vais aller dormir.
Kate :
— C'est mieux de se coucher…
En effet…
Je n'aime pas ce genre d'histoire où l'humour
Dégénère en situation… qui rend malade.
André :
— Non…
Laisse-le donc, Anne.
Il faut parfois crever l'abcès pour mieux comprendre…
C'est important dans certains cas de raconter
Même dans la douleur…
H.D :
— Oui, André a raison.
Nous sommes très proches d'une libération
Analytique forte.
Anne :
— Bien bien bien.
Devant ce parterre de psys affamés
Et de curieux en tous genres, je pense que
Nous allons encore supporter tes frasques
Avant que tu ne vomisses, mon cher Ilan…
Hop, mon chéri, raconte-nous cette soirée
Enfantine qui semble tant te tourmenter…
Et si John pouvait nous donner par précaution
Le bassin salvateur…
Ilan [se rapprochant d'Anne, la serrant dans ses bras, lui faisant un gros câlin] :
— Nous… nous étions tous les quatre saoulés à fond…
Presque, presque malades…
Nous étions là, un peu fous, à boire encore
Et à fumer clopes sur clopes dans le foin…
Et ça a commencé à sentir le brûlé.
Jeanne :
— Oh, oh oh…
Kate :
— Ah, ah ah…
Ilan :
— On a paniqué grave.
J’ai crié au secours.
La fumée était noire
Et puis…
Ah…
Mon copain est parti en coma éthylique…
Impossible de le réveiller…
Et le feu…
Les sirènes et, et …
Il est mort !
Kate :
— Ah… merde merde merde…
Jeanne :
— Non… ce n'est pas possible …
Je ne crois pas un mot de ton histoire.
Non.
Non non.
Je ne veux plus rien entendre… tout ça est faux,
C’est ridicule !
Kate :
— Ce n'est pas vrai.
N'est-ce pas H.D ?
C’n’est pas vrai !
D'abord, il n'est pas mort.
Mon père ne m'a jamais dit qu'il était mort.
Il n’est pas mort !
NON, non…
Ilan :
— Si.
Il est mort.
Je me souviens bien des pompiers, de l'ambulance.
Et puis plus rien…
J'ai dû aussi m'évanouir !
Thérèse [qui s'était rapprochée de John] :
— On ne tombe pas dans un coma éthylique
Avec un punch coco à 14 ou 15 degrés…
John :
— Cela se saurait !
Ilan :
— Sûr !
Il y avait pas moins de deux ou trois bouteilles…
Peut-être plus…
Et nous n'avions que sept-huit ans !
Anne :
— Le voilà ton problème !
Tu te caches encore bien vingt ans plus tard,
Avec de fameuses cuites pour oublier ?
Jeanne :
— Mais c'était où ?
Ilan :
— Oh… dans… dans un camp scout.
Kate [Soulagée] :
— Ah…
H.D :
— C'est étrange.
J’ai déjà entendu comme une autre version
D'une histoire semblable…
André :
— Moi aussi.
Jeanne :
— Tu l'as peut-être lue
Dans une petite BD pour les enfants ?
Kate :
— Et tu penses que c'est vrai lorsque tu bois trop…
H.D :
— Quels sont les prénoms de ces trois jeunes enfants
Entraînés avec vous dans cette triste histoire ?
Anne :
— Et c'était OÙ ?
En vérité, Ilan… dis-nous tout, s'il te plaît !
Ilan :
— Ah…
Non…
Si…
C’était…
À… à la Maison Bleue
Nous étions à la fondation Deva-Dassy.
Deux garçons et deux filles…
Je me souviens des filles :
La petite Marie… et Katelyn… moi et…
André et H.D ensemble :
— J'en étais sûr !
Jeanne :
— NON non non.
Ce n'est pas vrai.
Kate :
— Je vais m'évanouir…
Oh…
[Elle fait mine de tomber, André la rattrape, H.D l'aide à s'asseoir].
H.D :
— Ma très chère Kate, tu devrais je pense tenir
Encore un peu le coup et nous conter la suite…
[Jeanne se dirige discrètement vers les wc].
André :
— Oh…
Marie… Jeanne, reviens…
Ne te sauve pas encore aux wc…
Reviens…
Anne :
— Marie…
Jeanne ?
Oh ça alors…
C'est extraordinaire…
Elle aussi donc…
Vous étiez tous les trois !
Ensemble ?
André :
— Et le quatrième larron ?
Qui était-il ?
Marie Jeanne [en larmes] :
— Ah, Ivan…
Mon meilleur ami…
Kate :
— C'est trop trop trop.
Ivan…
Pourquoi ?
Marie Jeanne :
— Je m'en veux tellement.
Nous n'aurions jamais dû boire et fumer autant.
Je ne me le pardonnerai jamais, jamais.
Ilan [complètement déconnecté] :
— Ah, ah… l'effet d'un punch coco !
C’est fou…
C’est fou !
John :
— Cela n'est pas du punch…
Thérèse :
— Mais c’est particulièrement efficace !
H.D :
— Ton histoire était un peu différente de
Celle de ton compagnon de débauche, Kat…
André :
— Jeanne chérie…
N'aurais-tu pas réécrit certaines scènes
Comme le sauvetage
Les secours, l'hélico,
Ton attitude héroïque et l’épilogue…
L’heureux dénouement…
Marie Jeanne :
— Oui mais bon…
Personne ne sait vraiment ce qui s'est passé…
Alors…
Anne :
— Pourquoi donc n'en avoir jamais parlé, Ilan ?
H.D :
— En effet…
Il y a de bons psychanalystes.
André :
— Pour sûr !
Il y a aussi de bons psychologues…
Yvane :
— Peut-être voulait-il essayer d'oublier
Autrement un ami ?
André :
— Vouloir tout oublier n'est pas libérateur…
H.D :
— L'alcool et les médocs
C’n’est pas la solution…
John :
— Hum…
Comment s'est achevée
Cette triste soirée ?
Marie Jeanne :
— La grange a bien pris feu…
Les pompiers, l’ambulance…
La police…
Kate :
— On nous a séparés.
Marie Jeanne :
— C'est la première fois depuis cette nuit-là
Que je retrouve des enfants de l’Institut.
Kate :
— Moi aussi.
Je suis partie aussitôt dans une famille,
La nuit même… à l'autre bout de la région.
Ilan :
— Je suis parti pour Lille…
Très vite adopté par un juge pour enfants.
Anne :
— Ah bon ?
Ilan ?
Ce ne sont pas tes vrais parents ?
Marie Jeanne :
— Nous étions orphelins…
André :
— Pas possible ?
H.D :
— Incroyable !
Kate :
— Mais…
Attention…
De riches et beaux orphelins.
La pension était belle.
On s'occupait de nous.
Nous étions tous aimés.
Ilan :
— C'est pour cela que nous n'en parlions jamais.
H.D :
— Un comble !
Toi aussi, Kate…
Ton père le psychiatre ?
Kate :
— Et alors ?
Il m'aime comme si j'étais sa propre fille.
J’ai été adoptée !
OUI !
Y’a un problème ?
Tu m'aimes pour lui ou pour moi ?
André :
— Quelle histoire.
Alors ton père — le directeur — Marie… Jeanne ?
C’était celui qui dirigeait l'orphelinat ?
Anne :
— Une adoption sur place ?
Marie Jeanne :
— Oui et non…
J'ai été très malade et hospitalisée.
Je refusais alors tout lien avec l’histoire.
À mon retour quelques mois après sur les lieux,
Beaucoup du personnel avait été changé…
Je suis allée à l’annexe de la pension,
Vivant chez le nouveau directeur et sa femme.
Comme ils n'avaient pas d'enfants, ils m’ont adoptée.
Ilan :
— Ah, c’est super…
Mais ton prénom c'est bien Marie ?
Marie Jeanne :
— Oui.
J'ai fait un blocage
C’est après l'incendie
Mes parents ont usé de mon autre prénom
Pour que je communique…
J’ai frôlé la folie…
H.D :
— Pour sûr…
Comme c'est joli pourtant "Marie Jeanne".
Mon cher André, ta compagne est un cas aussi
Passionnant que la mienne !
Anne :
— C’est une belle psychanalyse de groupe !
Kate :
— Marie…
Marie !
Marie Jeanne :
— Ah,
Kate… après tant d’années…
Te retrouver !
Kate !
Dis-moi…
Raconte-moi tout…
[Étreinte des deux amies].
Kate :
— Ma petite chérie…
Ma petite sœur préférée…
Ilan :
— Ah…
C’est géant…
Ah…
Je… je vais vomir !
Yvane :
— Vite, John, la bassine…
On fait une p’tite pause !
— Pas tout-à-fait du Rhum…
C'est juste une eau-de-vie de graines d'épeautre
Distillée avec en sus — comme un Grand-Marnier®
Qui préconise généralement l'orange —
J'ai osé la noix de coco fraîche… trois fois !
Kate :
— Séduisant en effet…
Mais je préfère rire
Sans boire…
Puis-je fumer ?
Jeanne :
— NON !
Je ne supporte pas l’odeur du tabac.
Yvane [sortant un paquet de cigarettes très original] :
— Tu n'as jamais fumé ?
Jeanne :
— JAMAIS, jamais, JAMAIS.
André :
— Ah ?
Yvane :
— Près de la cheminée…
Il n’y a pas d’odeur…
Pour déranger les autres.
Ilan [bien gai] :
— Ah !
Ah…
C'est fou mais ce petit goût de coco…
Cela me rappelle…
Ah ah ah…
Non…
Oh…
C’est fou…
Kate :
— Encore ?
André :
— C'est parti !
Anne :
— C'est arrivé plutôt !
Il est fait.
Je vais le coucher.
Yvane :
— Non,
S'il te plaît, laisse-le
Tant qu'il n'est pas malade.
Il est très bon acteur et nous sommes bon public…
H.D :
— Oh oui !
Allez, s'il vous plaît cher ami… une autre histoire ?
Ilan :
— En fait, c'est une aventure super ancienne
[Il baille]
Et qui s'est vraiment vraiment trop mal terminée…
Tous :
— Oh ?!
Jeanne :
— Pipi…
Kate :
— Moi aussi…
Attendez-nous pour la suite !
[Elles sortent par la porte des WC].
Scène 2
Ilan :
— J'avais six ou sept ans…
Nous étions une belle bande de copains
Dans un camp de vacances…
Je crois ?
C’est loin…
Ah… oui ?
Je me souviens très bien…
Je viens d’avoir huit ans…
L’été, évidemment !
[Il se ressert à boire]
On fête mon anniversaire, un 4 août…
Tiens ? Comme cette nuit !
Il y a ce soir-là une très belle fête…
[Il boit son verre par petites gorgées]
Le couchage imposé,
Je voudrais encore prolonger la soirée.
C’est dans notre cachette.
Un grenier à foin au-dessus d'une des granges.
Ce soir, nous sommes quatre…
Oui… quatre à faire le mur.
Deux garçons et deux filles
Tous presque du même âge.
Les… « Les Inséparables ».
[Les filles reviennent].
Scène 3
Kate :
— On n'a pas trop perdu ?
Jeanne :
— J’ai raté quoi ?
Anne :
— Oh, rien…
Les présentations du club des 5, sans le chien.
Ilan :
— Très pas drôle !
Si vous m'interrompez,
[Baillant sévèrement]
J’vais m'endormir direct !
H.D :
— Oh non, non !
Surtout pas…
André :
— C'est si riche, il y a tant à analyser !
Ilan :
— Silence cher public !
Anne :
— N'en fais pas trop quand même,
Mon grand chéri d’amour !
Ilan :
— C'est sûr !
Projecteurs…
[La lumière se centre sur lui]
Oui.
Nous étions quatre, unis…
Liés, liés… tout comme…
Comme les doigts… d'ma main.
J'avais piqué au directeur deux-trois bouteilles
De punch coco de sa collection, trois peut-être
Ou quatre, même…
Oui… et…
À sa femme, une cartouche entière de clopes…
Plutôt originales…
Je me souviens, c'est drôle
Des cigarettes comme les tiennes, Yvane !
Yvane :
— Ah… celles de Thérèse !
Thérèse :
— Ah oui ?
Une cartouche entière ?
Tu m'en passes une d'ailleurs, ma chère Yvane ?
H.D :
— Magnifique…
La mémoire qui se précise.
André :
— Tout cela est vraiment très très intéressant.
Anne :
— Chut.
Continue Ilan !
Ilan :
— Eh bien, cette nuit là…
La fête continuait pour nous quatre alors
Que le sommeil avait gagné tous les autres
Jeunes enfants bien sages…
Nous étions ravis, heureux, pleins de passion !
Et…
NON !
NON, non…
C'est trop…
[Il pleure].
Anne :
— Le grand classique !
Allez,
Vite au lit, mon amour !
Jeanne :
— Oui… c'est peut-être préférable… moi aussi…
Je vais aller dormir.
Kate :
— C'est mieux de se coucher…
En effet…
Je n'aime pas ce genre d'histoire où l'humour
Dégénère en situation… qui rend malade.
André :
— Non…
Laisse-le donc, Anne.
Il faut parfois crever l'abcès pour mieux comprendre…
C'est important dans certains cas de raconter
Même dans la douleur…
H.D :
— Oui, André a raison.
Nous sommes très proches d'une libération
Analytique forte.
Anne :
— Bien bien bien.
Devant ce parterre de psys affamés
Et de curieux en tous genres, je pense que
Nous allons encore supporter tes frasques
Avant que tu ne vomisses, mon cher Ilan…
Hop, mon chéri, raconte-nous cette soirée
Enfantine qui semble tant te tourmenter…
Et si John pouvait nous donner par précaution
Le bassin salvateur…
Ilan [se rapprochant d'Anne, la serrant dans ses bras, lui faisant un gros câlin] :
— Nous… nous étions tous les quatre saoulés à fond…
Presque, presque malades…
Nous étions là, un peu fous, à boire encore
Et à fumer clopes sur clopes dans le foin…
Et ça a commencé à sentir le brûlé.
Jeanne :
— Oh, oh oh…
Kate :
— Ah, ah ah…
Ilan :
— On a paniqué grave.
J’ai crié au secours.
La fumée était noire
Et puis…
Ah…
Mon copain est parti en coma éthylique…
Impossible de le réveiller…
Et le feu…
Les sirènes et, et …
Il est mort !
Kate :
— Ah… merde merde merde…
Jeanne :
— Non… ce n'est pas possible …
Je ne crois pas un mot de ton histoire.
Non.
Non non.
Je ne veux plus rien entendre… tout ça est faux,
C’est ridicule !
Kate :
— Ce n'est pas vrai.
N'est-ce pas H.D ?
C’n’est pas vrai !
D'abord, il n'est pas mort.
Mon père ne m'a jamais dit qu'il était mort.
Il n’est pas mort !
NON, non…
Ilan :
— Si.
Il est mort.
Je me souviens bien des pompiers, de l'ambulance.
Et puis plus rien…
J'ai dû aussi m'évanouir !
Thérèse [qui s'était rapprochée de John] :
— On ne tombe pas dans un coma éthylique
Avec un punch coco à 14 ou 15 degrés…
John :
— Cela se saurait !
Ilan :
— Sûr !
Il y avait pas moins de deux ou trois bouteilles…
Peut-être plus…
Et nous n'avions que sept-huit ans !
Anne :
— Le voilà ton problème !
Tu te caches encore bien vingt ans plus tard,
Avec de fameuses cuites pour oublier ?
Jeanne :
— Mais c'était où ?
Ilan :
— Oh… dans… dans un camp scout.
Kate [Soulagée] :
— Ah…
H.D :
— C'est étrange.
J’ai déjà entendu comme une autre version
D'une histoire semblable…
André :
— Moi aussi.
Jeanne :
— Tu l'as peut-être lue
Dans une petite BD pour les enfants ?
Kate :
— Et tu penses que c'est vrai lorsque tu bois trop…
H.D :
— Quels sont les prénoms de ces trois jeunes enfants
Entraînés avec vous dans cette triste histoire ?
Anne :
— Et c'était OÙ ?
En vérité, Ilan… dis-nous tout, s'il te plaît !
Ilan :
— Ah…
Non…
Si…
C’était…
À… à la Maison Bleue
Nous étions à la fondation Deva-Dassy.
Deux garçons et deux filles…
Je me souviens des filles :
La petite Marie… et Katelyn… moi et…
André et H.D ensemble :
— J'en étais sûr !
Jeanne :
— NON non non.
Ce n'est pas vrai.
Kate :
— Je vais m'évanouir…
Oh…
[Elle fait mine de tomber, André la rattrape, H.D l'aide à s'asseoir].
H.D :
— Ma très chère Kate, tu devrais je pense tenir
Encore un peu le coup et nous conter la suite…
[Jeanne se dirige discrètement vers les wc].
André :
— Oh…
Marie… Jeanne, reviens…
Ne te sauve pas encore aux wc…
Reviens…
Anne :
— Marie…
Jeanne ?
Oh ça alors…
C'est extraordinaire…
Elle aussi donc…
Vous étiez tous les trois !
Ensemble ?
André :
— Et le quatrième larron ?
Qui était-il ?
Marie Jeanne [en larmes] :
— Ah, Ivan…
Mon meilleur ami…
Kate :
— C'est trop trop trop.
Ivan…
Pourquoi ?
Marie Jeanne :
— Je m'en veux tellement.
Nous n'aurions jamais dû boire et fumer autant.
Je ne me le pardonnerai jamais, jamais.
Ilan [complètement déconnecté] :
— Ah, ah… l'effet d'un punch coco !
C’est fou…
C’est fou !
John :
— Cela n'est pas du punch…
Thérèse :
— Mais c’est particulièrement efficace !
H.D :
— Ton histoire était un peu différente de
Celle de ton compagnon de débauche, Kat…
André :
— Jeanne chérie…
N'aurais-tu pas réécrit certaines scènes
Comme le sauvetage
Les secours, l'hélico,
Ton attitude héroïque et l’épilogue…
L’heureux dénouement…
Marie Jeanne :
— Oui mais bon…
Personne ne sait vraiment ce qui s'est passé…
Alors…
Anne :
— Pourquoi donc n'en avoir jamais parlé, Ilan ?
H.D :
— En effet…
Il y a de bons psychanalystes.
André :
— Pour sûr !
Il y a aussi de bons psychologues…
Yvane :
— Peut-être voulait-il essayer d'oublier
Autrement un ami ?
André :
— Vouloir tout oublier n'est pas libérateur…
H.D :
— L'alcool et les médocs
C’n’est pas la solution…
John :
— Hum…
Comment s'est achevée
Cette triste soirée ?
Marie Jeanne :
— La grange a bien pris feu…
Les pompiers, l’ambulance…
La police…
Kate :
— On nous a séparés.
Marie Jeanne :
— C'est la première fois depuis cette nuit-là
Que je retrouve des enfants de l’Institut.
Kate :
— Moi aussi.
Je suis partie aussitôt dans une famille,
La nuit même… à l'autre bout de la région.
Ilan :
— Je suis parti pour Lille…
Très vite adopté par un juge pour enfants.
Anne :
— Ah bon ?
Ilan ?
Ce ne sont pas tes vrais parents ?
Marie Jeanne :
— Nous étions orphelins…
André :
— Pas possible ?
H.D :
— Incroyable !
Kate :
— Mais…
Attention…
De riches et beaux orphelins.
La pension était belle.
On s'occupait de nous.
Nous étions tous aimés.
Ilan :
— C'est pour cela que nous n'en parlions jamais.
H.D :
— Un comble !
Toi aussi, Kate…
Ton père le psychiatre ?
Kate :
— Et alors ?
Il m'aime comme si j'étais sa propre fille.
J’ai été adoptée !
OUI !
Y’a un problème ?
Tu m'aimes pour lui ou pour moi ?
André :
— Quelle histoire.
Alors ton père — le directeur — Marie… Jeanne ?
C’était celui qui dirigeait l'orphelinat ?
Anne :
— Une adoption sur place ?
Marie Jeanne :
— Oui et non…
J'ai été très malade et hospitalisée.
Je refusais alors tout lien avec l’histoire.
À mon retour quelques mois après sur les lieux,
Beaucoup du personnel avait été changé…
Je suis allée à l’annexe de la pension,
Vivant chez le nouveau directeur et sa femme.
Comme ils n'avaient pas d'enfants, ils m’ont adoptée.
Ilan :
— Ah, c’est super…
Mais ton prénom c'est bien Marie ?
Marie Jeanne :
— Oui.
J'ai fait un blocage
C’est après l'incendie
Mes parents ont usé de mon autre prénom
Pour que je communique…
J’ai frôlé la folie…
H.D :
— Pour sûr…
Comme c'est joli pourtant "Marie Jeanne".
Mon cher André, ta compagne est un cas aussi
Passionnant que la mienne !
Anne :
— C’est une belle psychanalyse de groupe !
Kate :
— Marie…
Marie !
Marie Jeanne :
— Ah,
Kate… après tant d’années…
Te retrouver !
Kate !
Dis-moi…
Raconte-moi tout…
[Étreinte des deux amies].
Kate :
— Ma petite chérie…
Ma petite sœur préférée…
Ilan :
— Ah…
C’est géant…
Ah…
Je… je vais vomir !
Yvane :
— Vite, John, la bassine…
On fait une p’tite pause !
Rideau…
Fin du deuxième acte.
Fin du deuxième acte.
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Par Yves Philippe de FRANCQUEVILLE, pirate des mots et philanalyste en herbe. Tous droits réservés ©.
Auteur : Yves Philippe de Francqueville