Yves Philippe de Francqueville, pirate des mots et philanaliste présente le Cycle de l'Austrel, tome second : Notre Sauveur. Première partie.
Phil : - La terre a encore tremblé ce matin.
La secousse semble des plus fortes depuis ces dernières semaines.
Jeph : - Oui.
Je sais, Phil : ma cellule a été quelque peu endommagée.
Peut-être devrais-je en changer ?
Sako : - Chez nous, ce n’est que matériel.
Sais-tu cependant que nous devons déplorer six victimes et de nombreux blessés sur la Base du Lac de Soufre ?
Phil : - Je ne sais pas ce que nous allons devenir.
Peut-être est-il plus prudent d’abandonner ce lieu pour concentrer nos forces en des endroits plus fiables ?
Qu’en penses-tu, Jeph ?
Jeph : - …
Phil : - Oh, Jeph…
Jeph : - …
Sako : - Dis-nous s’il te plaît…
Nous voulons t’entendre.
Aurais-tu une idée sage, afin de mettre sur pied un plan permettant d’éviter ce type d’accident dramatique ?
Trop de vies humaines sont misées chaque jour sur la loterie de notre insouciance…
Nous sommes face à un drame et tu t’enfermes dans un mutisme insupportable !
Phil : - …Sako dit vrai ; c’est aussi le fondement de notre raison d’être qui est à réévaluer.
La sécurité du peuple reste la source du développement de notre société.
Si ce système perd de sa fiabilité, l’harmonie cédera la place à l’anarchie et notre espoir de bonheur s’évanouira dans une suite de tremblements de terre !
Jeph : - Suis-je maître de la nature ?
Sako : - Quelle lâcheté dans ta réserve !
Aujourd’hui il est possible de tout prévoir.
Ton idée de construire au Lac de Soufre fut donc une faute.
Les menaces sismiques rendent le site dangereux.
Phil : - Oui.
Cette zone est terriblement sensible.
Je pense aussi que tu as commis une erreur.
Jeph : - Vous avez raison tous les deux.
Vous gardez pour référence simpliste la certitude d’une domination de l’homme sur la nature…
Vous êtes aussi persuadés que par la science, nous sommes capables de tout savoir, de tout pronostiquer…
Le risque zéro n’existe pas[i], cependant.
Sako : - C’est pourtant ce à quoi nous tendons.
Moi, j'y crois.
Il y a très peu de mystères aujourd’hui, dans les mécanismes humains ou naturels, qui n’aient trouvé d’explication.
Si tu écoutais un peu plus les cercles autorisés et si tu étudiais les rapports d'expertises sur les chaînes dédiées à la recherche… tu verrais combien nous sommes au meilleur de la connaissance !
Sois attentif.
Instruis-toi…
Ton ignorance du quotidien te fait raconter n'importe quoi.
Jeph : - Ridicule…
C’est un leurre, que de devoir se référer à vos vérités télévisuelles. C'est votre arme la plus toxique en matière de propagande !
Vos pseudo-savants ne sont plus des chercheurs… Ils sont payés pour être des figurants, des apprentis sorciers qui se veulent être des experts trouveurs… coûte que coûte… de ce qui se propose de meilleur pour l'industriel afin de séduire le consommateur.
Ces commerciaux produisent sans état d'âme ce que les politiques et les religieux demandent, afin de rendre le peuple docile.
Et je devrais sans mot dire, me gaver d'informations rapportées par ce monde de la presse animé par des petits pantins nauséeux, esclaves décervelés ou consentants du système financier ?
Ils ont tous la greffe seconde voulue par l'Archyeur, et vous les avez gardés — bien dociles chiens-chiens aboyeurs — à vos côtés, en les engraissant de petits privilèges !
La télévision instinctive ?
Des chaînes, encore des chaînes…
Stop !
Ma soif de liberté m'invite à les briser !
Nous sommes très loin de savoir qui nous sommes, d'où nous venons… et surtout, où nous allons !
Vous êtes attentifs davantage aux prévisions météorologiques qu'au lever du soleil vous donnant la couleur du ciel !
Vous êtes mûs par les oracles de vos grands prêtres, à absorber leur énergie délétère par écrans interposés !
Ils décident pour vous et tous ces médias enfermés avec nous dans le même camp concentrationnaire, sont les kapos de ces dieux devant lesquels vous vous prosternez !
Phil : - Non.
Tu blasphèmes, Jeph !
Par ces propos enregistrés je pense que pourrais déjà te faire arrêter !
Cela s’ajoutera certainement aux chefs d’accusation !
Tu racontes toujours n’importe quoi pour attirer à toi quelques rebelles facilement manipulables.
Avec nous, cela ne fonctionne pas : c’est trop simple de saisir le mensonge et la calomnie, voire l’injure aux hautes autorités comme celle faite à la mémoire de notre humanité.
Si tu te comportais avec un minimum d’honnêteté, tu reconnaîtrais la vérité : nous voulons éduquer le peuple pour l’édifier.
Nous autres, politiciens, travaillons pour son bonheur.
L'information est certes parfois adaptée en fonction des capacités à comprendre de chacun, mais l'élite a toujours accès au meilleur.
Nos historiens journalistes sont d’irréprochables philosophes[ii].
Pourquoi t'obstines-tu dans l'ignorance du progrès ?
L'homme a atteint un stade supérieur d’évolution qui nous permet de bien gérer le présent et l'avenir… à condition toutefois de respecter les lois.
Toi, tu n'as de considération que pour ton plaisir égocentré.
Tu ne te soucies pas des autres et voilà où cela nous conduit…
Les tremblements de ce matin étaient certainement contingents bien avant la construction de cette Base.
Jeph : - Mais ils n’ont pas été prévus, ou d’aucuns ont préféré n’en pas tenir compte.
Phil : - Pourquoi ?
Sako : - Oui…
Pourquoi donc ?
N’as-tu pas effectué des analyses ?
On ne construit pas des espaces de vie sans mener des enquêtes et établir des études sérieuses…
Tu sembles avoir réalisé ton rêve sans précautions, avec une réelle part d'insouciance inadmissible !
Où se trouve le rapport des experts ?
Jeph : - Désolé les amis…
Ma folie est certaine, ma part d'égoïsme aussi — je ne la nie surtout pas — mais j'ai encore un peu d'attention pour les êtres que j'aime…
J'ai presque le regret de vous l'annoncer : toutes les démarches-risques furent réalisées en leur temps et…
Sako : - Hum… ah oui ?
Et alors ?
Jeph : - Pas un signe ne nous permettait d’anticiper ce qui se passe aujourd’hui.
Et oui !
Cette zone fut déclarée non sismique par un grand nombre d'experts se disant indépendants…
Ils ont jugé à l'unanimité — dans un sérieux rapport — que l'espace incriminé aujourd’hui était bien propre à la construction d'une Base, fiable pour dix mille cycles !
Désolé…
J’y ai cru moi-même.
J’ai donné ma confiance à ces professionnels très sûrs d’eux…
Un peu trop peut-être ?
Phil : - Cela m’étonne vraiment.
Cependant nous devons pour le moment te donner raison puisqu’il n’y a semble-t-il plus de dossiers consultables afin de vérifier tes propos.
Nous sommes obligés de te croire…
Sako : - Et impossible de punir les coupables…
Phil : - L’important, dans l’immédiat, est de parer au plus pressé.
Sako : - Oui Phil !
Trouvons vite un nouveau site afin de déplacer nos forces et les membres de la Base.
Ensuite, Jeph, je t’assure que je m’emploierai personnellement à saisir ta responsabilité dans la disparition de ces innocents.
Phil : - Nous ne pouvons pas poursuivre plus longtemps l’occupation d’un espace aussi peu adapté.
Il y a urgence.
Jeph : - La terre tremblera peut-être encore, en effet, dans quelques minutes, dans quelques heures ou dans un million de cycles…
Vous voulez proposer une autre solution, sans comprendre la liberté de notre planète dans cet univers qui nous est inconnu.
Vous allez chercher encore la vérité révélée par les études savantes d'experts agréés par ce Nouvel Austrel… que vous dirigez.
Remarquerez-vous un jour qu'il est nécessairement manipulé par son Haut Conseil intéressé et subventionné par les consortiums de l'industrie et des travaux de l'habitat ?
La Guilde a davantage de pouvoirs que vous…
Phil : - C'est ridicule.
Tu vois partout la théorie du complot…
Jeph : - Ah oui ?
Pas de soucis… mille excuses…
Oubliez mes dires !
Vous serez enchantés très prochainement d'avoir en mains le rapport édifiant pour construire un nouveau paradis.
Le lieu proposé sera le meilleur…
La Base "toute dernière génération", certifiée conforme aux normes du moment, s'élèvera dans la joie et l’allégresse de tous…
Sécurité absolue…
Risque zéro…
Et tout cela pour attendre la prochaine secousse, en cet endroit idéal que vous nous auriez trouvé ?
Phil : - Non Jeph…
Tu es malsain.
Tu es un monstre…
Vouloir être le porteur de mauvaises nouvelles est toujours à éviter…
C’est forcément destructeur !
Je veille à l'équilibre psychologique des citoyens de nos Bases.
Comment oses-tu imaginer et surtout annoncer une pareille situation ?
T'entendre est détestable.
Tu te délecterais donc presque si une nouvelle catastrophe était annoncée ?
Jeph : - Non…
Oh non…
Jamais Phil…
Je laisse ce plaisir nauséeux aux exécrables journalistes, spécialisés dans la comptabilité sordide des victimes.
Ah, je vomis cette presse adepte d’une jouissance abjecte face à la souffrance étalée… au nom d'une soi-disant nécessité d’informer!
Sako : - Voilà…
C’est du grand Jeph !
Tu fustiges encore les médias et tu ne sais plus rien de ce qui se passe dans notre monde.
Phil : - Ton entêtement est dangereux pour celles et ceux qui t'écoutent.
Tu rejettes en fait tout ce qui est l'autorité.
De plus, tu te refuses aux évidences, tout en ne proposant pas d'alternatives !
C’est ridicule.
Pourquoi cette posture ?
Jeph : - Parce que mon cher Phil, même ce qui est le plus improbable à vos yeux saurait être envisageable…
Il n'y a pas de vérité ou de certitude dans l'univers[iii].
Phil : - Tu te trompes, Jeph.
Si certaines vérités sont relatives, d'autres — basées sur des sciences exactes et divines — sont irréfutables.
Aussi, pour te montrer que tu te trompes et que tu veux nous tromper… pour conjurer tes dires, nous ferons réaliser ce qu'il y a de meilleur, en osant davantage encore : nous allons décupler les systèmes de protection pour le peuple.
Notre force et nos talents vont apporter l'ultime preuve destinée à contredire tes propos insupportables.
Tes adeptes seront impressionnés par nos actes et finiront par s'éloigner de ton influence détestable.
Oui : nous réussirons à élever une Base puis d’autres, dans des espaces totalement sécurisés, et bien entendu capable de prendre en compte tous les dangers sismiques connus ou moins connus, selon l'assurance des experts.
L’important est de garantir la sûreté des biens et les vies de chacun.
Sako : - C’est vrai.
Le risque zéro…
Je pense que l'existence de six personnes aurait pu être épargnée par une gestion plus fiable des aléas.
Phil : - Là, c'est vrai, Sako…
Tu n’as plus d’excuse, Jeph !
Tu as osé dire que tu savais le risque, même infime… et tu n'as pas mis en œuvre les précautions nécessaires.
C'est donc une faute grave de négligence.
Voilà le premier chef d'accusation trouvé, mon cher Sako…
Bravo !
Mon pauvre Jeph, ton cerveau génial nous montre enfin ses limites, et voilà révélée ta légèreté dans cette erreur de jugement…
Oui, ta désinvolture face au danger représenté par les éléments de la nature, sur le peuple qui te faisait confiance est un vrai scandale.
Tu seras dénoncé !
Jeph : - Ah oui ?
Pauvre de vous !
Phil : - Oui, tu es coupable.
Ne sois pas injurieux.
Si tes nombreuses idées semblent belles, ton calcul pour le bonheur de l’homme s’avère faux.
Tu n’as pas pris en compte les faiblesses physiques de la planète…
Jeph : - Peut-être.
Peut-être…
Je nommerais plutôt cela des caprices, une rencontre aléatoire d’improbables engrenages cosmiques plurimillénaires !
Vous bâtissez des sociétés en estimant que cette petite planète fut créée pour nous.
Je pense pour ma part, que l’univers se gausse de notre réalité.
Notre petite Terre est libre.
Elle se moque totalement de notre présence[iv] !
CRÉATION
- Tu es belle, ô Terre, alors tremble et frémis :
Si l’abîme est comblé, qu’une montagne naisse !
- Voici : soudain, l’on gronde... enfin mer tu jaillis
Et chacun d’entre nous voit en toi sa maîtresse !
- Cœur furieux de mil feux à la nuée ardente,
Oh merveilleux volcan dont la lave d’effroi…
Modèle avec caprice une nature amante,
De l’être humain aussi tu t'affirmes le roi !
- Soleil du haut des cieux, belle eau qui ruisselle…
Vous semblez là pour l'homme, il s’en trouve orgueilleux :
Sans apprendre à l'aimer, sa main se fait cruelle
Avec ce monde offert à l’irrévérencieux.
- Doit-on lui pardonner d’être si peu fidèle,
Lui, surgi du néant, pour mourir sous vos yeux ?
Si l’abîme est comblé, qu’une montagne naisse !
- Voici : soudain, l’on gronde... enfin mer tu jaillis
Et chacun d’entre nous voit en toi sa maîtresse !
- Cœur furieux de mil feux à la nuée ardente,
Oh merveilleux volcan dont la lave d’effroi…
Modèle avec caprice une nature amante,
De l’être humain aussi tu t'affirmes le roi !
- Soleil du haut des cieux, belle eau qui ruisselle…
Vous semblez là pour l'homme, il s’en trouve orgueilleux :
Sans apprendre à l'aimer, sa main se fait cruelle
Avec ce monde offert à l’irrévérencieux.
- Doit-on lui pardonner d’être si peu fidèle,
Lui, surgi du néant, pour mourir sous vos yeux ?
Phil : - Un peu facile et trop simpliste !
J'entends cela comme une fuite évidente de tes responsabilités…
Tu te libères de ta culpabilité en t’affirmant toi-même victime d’une nature ingrate.
Jeph : - Ah non…
Non… surtout pas…
Je trouve notre belle planète extraordinaire… presque divine !
Elle est libre et sans retenue à notre égard !
Phil : - Comment oses-tu dire cela ?
T’imposer ainsi au-dessus des croyances est diabolique !
Sako : - Peux-tu un instant te résoudre à un peu d’humilité ?
Accepterais-tu enfin de ne pas avoir toujours raison ?
Jeph : - Ah, ah !
Ah, ah, ah !
J’ai simplement marqué ma position sur l’hypothèse du hasard autour de notre existence.
Ce n'est pas de l'orgueil…
Voyez plutôt en cela une certaine audace !
Phil : - S’il te plaît, Jeph, réponds-nous sans cette ironie qui nous place, je te le dis tout de suite, en situation d’infériorité.
Sois — ne serait-ce qu’un instant — honnête avec toi-même.
Jeph : - Que souhaitez-vous entendre de mes lèvres ?
Que dois-je encore vous dire ?
Vous me voulez plus proche de votre vérité politique… alors que l’on m’accuse jour après jour d’annoncer les malheurs à venir de chacun.
Toutes mes paroles enrichissent les griefs qui s’accumulent contre moi.
Être sincère va encore me porter préjudice.
C’est cependant davantage dans ma manière de vivre.
Phil : - Sincérité n’est pas vérité !
Nous ne doutons pas de ta sincérité…
Sako : - Mais nous voulons la vérité.
Jeph : - Vous avez raison.
Sincérité… cela signifiait aux temps anciens : « sans la cire ».
Libérer le miel de toute âpreté ?
Aimer le plaisir sans accepter le sacrifice ou l’effort qui déforme, qui altère…
Ma conception de l’existence diffère de la vôtre.
Vous essayez donc de me juger pour cela ?
Phil : - Écoute, Jeph…
Six des nôtres ont péri sans commettre de faute : le choix d’occuper des cellules inadaptées les aura condamnés.
Peux-tu répondre de ces vies arrachées ?
Sako : - Phil dit vrai.
Un autre que toi aurait été immédiatement incriminé par le Nouvel Austrel…
Tu es bien entendu encore protégé par la mémoire de tes actions récentes…
Nous te devons beaucoup pour les Bases, mais ta légitimité déjà se trouve mise en doute suffisamment.
Phil : - C'est en effet du passé, le temps où tu avais des adeptes en grand nombre.
Et, là…
Oui…
Cela sera la chute libre dans ta cote de popularité, lorsque le peuple saura : alors que nous sommes en plein drame, tu racontes des hérésies et tu nous donnes comme excuse le hasard, ou le fait d’une nature violente.
Sako : - Ah, ça !
Jouer ainsi de la destinée d'un peuple qui t'a donné sa confiance, est plutôt répugnant.
Jeph : - Sako, mon petit Sako…
Tu t'exprimes comme j’aime.
Quel excellent avocat tu fais, au service de ta politique !
Tu aurais pu connaître — pour t’en inspirer davantage si tu savais lire — l’histoire des illustres tyrans de ton espèce qui maniaient aussi bien que toi le sang et l’argent[i]…
Tu es délicieux de compassion mièvre afin de récolter toujours davantage de pouvoir…
Sako : - Ne te moque pas de moi…
J'ai un honneur…
J'ai une morale.
Et surtout… j’ai une légitimité !
J'ai le droit au respect… même du tien.
Jeph : - Oh, mille excuses si je t'ai fâché !
Je ne pensais pas atteindre ne serait-ce que les fondations de ton orgueil démesuré.
Je me reprends…
Oui, tu as bien raison, Sako : les secousses enregistrées au Lac de Soufre ne sont pas désirées mais subies par les membres de la Base.
Cela reste cependant une loterie[ii].
Oui, une super loterie géante !
Sako : - Comment ?
Phil : - Tu te moques encore de nous ou tu délires ?
Jeph : - Non.
Ni l'une ni l'autre de tes propositions n'est à valider…
Pour cette fois…
J'aime à croire que nous sommes inscrits dans le grand tirage des cartes de notre horoscope : chaque instant, celle de l'espoir de vivre peut être dévoilée… ou alors s'annoncera la grande faucheuse.
Nous sommes les acteurs — malgré nous — de cette étrange aventure…
C'est un jeu définissant le sort mystérieux qui nous incombe : de la vie ou de la mort ; être d’un jour ou de mille ans !
Phil : - Un… un… un jeu ?
Sako : - Comment oses-tu ?
Un jeu !
Phil : - J'hallucine !
Sako : - Personne ne te suivra maintenant avec de tels propos, Jeph.
Tu es un monstre froid.
La vie humaine n’est pas méprisable.
C’est honteux de se moquer ainsi de celles et ceux qui t'ont donné leur confiance.
Je crois que tu deviens fou : ton insouciance domine de plus en plus tes propos.
Oui, tu déraisonnes gravement.
Phil : - Le Nouvel Austrel ne pourra supporter plus longtemps ces dérapages insupportables.
Tu vas finir certainement par être arrêté et condamné pour mise en danger de l'équilibre des Bases.
Jeph : - Ah…
Encore ?
Sako : - Encore ?
Jeph : - Je concède une certaine amertume devant vos limites, vos haut-le-corps, vos airs scandalisés…
Laissez-moi chatouiller vos bonnes consciences…
Sako : - Une moquerie de plus ?
Ou annonces-tu l'avenir en oracle ?
Tu ne donnes pas d’espérance.
Tu ne respectes rien… ni personne.
Tu oublies même ceux qui ont cru en toi !
Jeph : - Non !
Là, pour l'oubli… parlez pour vous !
C'est inscrit jusque dans vos gènes.
Je n’ai pas cette spécificité dans mes anormalités…
Pour ma part, j'ai simplement une vision différente de la mémoire… du souvenir.
Le monde que vous façonnez de lois composées d’obligations et d'interdits découlant de vos certitudes et de vos exigences politiciennes, transforme ses habitants en tristes bipèdes soumis.
Le peuple dans son ensemble ne peut pas percevoir qu'il est capable d'évoluer.
J'aimerais lui permettre de comprendre qu'il n'est pas obligé de subir… mais la masse, l’esprit de foule, supprime la pensée individuelle.
C’est un bel outil de soumission docile.
Je souhaite aider l’homme en instance d’évolution à trouver l'énergie du désir de ne pas “sousvivre” dans le groupe et de devenir lui-même.
Avec votre Nouvel Austrel, vous agissez comme l’Archyeur.
Vous mettez tout en œuvre pour éviter que l'humain — révélant de plus en plus sa capacité à s’élever de son animalité politique[iii] — ne se pose trop de questions !
Vous souhaitez même qu’il ne se pose plus de questions !
Selon mes recherches, nous pourrions tenter une autre approche de l'existence : d’apprendre par exemple que la mort est notre issue commune, afin d’éveiller nos sens au plaisir de l'instant[iv] ?
Je ne pense pas être un animal politique.
Mon rêve — mon idéal — existe hors de tout système.
Je le trouve plus vrai que la pseudo-réalité dans laquelle vous pensez vivre.
Il se concrétise souvent pour l’aujourd’hui, alors que vous nous offrez un après-demain très incertain…
Les raisons de vivre ou de mourir sont multiples chaque jour[v]…
…Et j’aspire à la vie en tentant de sortir de l’absurde, par la révolte si nécessaire !
La sousvie me répugne.
Phil : - Prends garde, Jeph !
La haine, le mépris et le blasphème sont aussi condamnables que l’usage des mots interdits.
Jeph : - Pourquoi parler de blasphème ?
Je n’ai pas injurié les dieux qui sont les vôtres…
Je ne souhaite pas me soumettre à leurs caprices, c’est tout !
Sako : - Tes idées anarchistes apportent le scandale.
Phil : - Oui…
Il nous faut préparer l’avenir dans la paix, avec le respect total des lois, si nous voulons le meilleur pour chacun.
Par tes propos tu pourrais fragiliser davantage ceux qui ont peur de la vie et les pousser à des actes réprimables envers eux-mêmes.
Tu sembles oublier que le suicide est strictement interdit comme en faire l’apologie.
Jeph : - J’ai prôné la vie…
Vous avez voté la Chalystime… alors que j’espérais en un demain meilleur pour celles et ceux qui souffraient dans leur chair.
Moi-même — avec ma santé qui m’ouvre à l’inconnu — je me contente de savourer le temps présent et je prépare la possibilité d’un demain.
Je ne sais pas me réjouir d’un futur relatif et purement hypothétique.
Maintenant, si vous avez envie de passer votre course vaine sur cette petite planète, à retarder l’échéance que vous estimez fatale… sachez qu’elle vous rejoindra tôt ou tard.
Sako : - Comment ne pas te soucier de la fin de notre existence terrestre ?
Que tu te renies est déjà triste mais oser rejeter la raison d'être de tes proches, c'est dramatique de lâcheté.
Jeph : - Vous craignez peut-être un peu trop votre néant ?
Inquiétez-vous donc de la vie, vous qui avez du mal à la comprendre, dans votre univers de zombies.
Pour ma part, je me plais à la cultiver dans mon jardin souvent secret[vi].
J’accueille stoïquement ce côté absurde de la séparation d’êtres chers, en apprenant à me réjouir chaque jour des merveilleux instants de plaisir.
La lassitude n’entre plus dans le jeu de mes peurs.
Je combats de même l’habitude, l’ennui et surtout les leurres du “danger de la jouissance” à rejeter ou à reporter selon vos lois.
Vous prenez, vous jetez, vous aimez…
Vous adorez, puis vous détestez… suivant l'intérêt le plus vil, le plus méprisable : la peur de vos peurs…
Vivre jour après jour
Vivre jour après jour à l’ombre d’une vie,
Faire naître un empire, un fils, un univers
Et laisser tout cela lorsque tombe l’envie ?
Chimère de se croire affranchi du revers,
Implacable tracé de notre destinée :
La mort,
[la mort s’annonce au chant fort de mes vers...
À genoux, écoutez, magnifiez mes actions :
Demain n’existe pas, hier est un mensonge,
Vivons dès aujourd’hui le temps de nos passions !
Relevez-vous, de grâce, ou la peur qui vous ronge
Aura tôt fait, hélas, de détruire à jamais
L’espérance en vos cœurs, un doux rêve ou un songe...
Vous préfériez maudire alors que moi, j’aimais !
Jeph : - Vous aussi, il est temps de réaliser qu’il vous faudra mourir…
Phil : - Est-ce notre lot à tous ?
La médecine a réalisé des progrès extraordinaires.
C'est assurément une fatalité lorsque nous voyons encore se séparer des êtres qui s’aiment, mais demain s'annonce prometteur.
Je le sais.
Sako : - Oui, Phil a raison…
Nous sommes nés pour vivre d'éternité !
On nous garantit déjà 150 ans !
Jeph : - Ah…
Vos certitudes vous permettent une belle force au combat…
Ah, que savez-vous cependant[i] ?
Que devenez vous, lorsque vous perdez un pouvoir qui vous assure le sentiment de l’immortalité ?
Vous rêviez d’être célébrés quelques centaines d’années, voire un millénaire ou deux ?
Et tout s'écroule.
Vite, la reconquête s'impose !
La Cité vous manque… les Bases sont trop étroites pour votre orgueil démesuré ?
La place d'Érik sera peut-être bientôt vacante ?
Régnez, régnez… petits chefs !
Avez-vous pensé à faire sculpter vos statues ?
Toute prise de pouvoir est un crime[ii].
Bien entendu, un jour ou quelques cycles suffiront pour ne donner de vous qu’une illusion de votre naissance !
Qu’importe la vérité face à la belle histoire officielle ?
Sako : - Tu peux parler pour toi, Jeph !
Chacun doit savoir mettre à profit ses heures de gloire.
Notre célébrité pour l’avenir, nous ne la préparons que par notre mérite et nos services pour le bonheur de tous…
Nous avons une légitimité prouvée par nos diplômes et la sanction positive des urnes.
Nous sommes reconnus comme compétents.
Tu n'es plus acteur dans la politique des Bases depuis bien longtemps.
Il ne reste de toi que le souvenir de tes actions passées.
Aussi, tu peux découvrir que la déchéance est parfois réalisable du vivant d’un héros.
Phil : - C’est sûr…
Nous, nous n’avons pas cherché la gloire.
S’il y a un jour des statues érigées en notre honneur, cela n’en sera que légitime car nous agissons par devoir.
Nous ne trichons pas contrairement à toi.
Chez les usurpateurs, les escrocs de ton genre, la notoriété est souvent éphémère… pour ne pas dépasser chez certains, le court temps d’une vie !
La vérité s'annonce toujours au grand jour.
Parfois bien plus vite qu'on ne le pense.
Hélas pour toi, dans ce jeu fort malsain… te voici — au hasard d’une phrase de trop, dévoilant ta vraie nature — bientôt déchu !
C’en est fini du grand Jeph !
Jeph : - Formidable, Phil !
Il est amusant de constater ta capacité à parler pour un « nous » qui ne représente que toi — n’est-ce pas déjà tricher ?
Et tes mains ensanglantées pour me saluer ?
Votre envie de survivre et votre obsession de pouvoir et de célébrité sont telles qu'elles vous persuadent qu'après votre mort, vous continuerez à jouir et à profiter d’un culte voué par les vivants à votre souvenir idéalisé.
Pour cela, il est donc bien nécessaire en effet d’assurer aujourd’hui au mieux votre retraite post mortem…
Le panthéon vous attend certainement demain avec une belle haie d’honneur pour que l’on vous couche aux côtés des autres soldats sanguinaires… et aussi pour rejoindre les héros du moment choisis afin d’édifier le peuple en manque de repères.
Et après demain, si les idées politiques changent, l’on vous en sortira peut-être par la petite porte[iii]…
Vous ne vivez pas ; vous préparez l’illusion de votre immortalité.
Phil… Sako… ne cherchez pas plus loin la force sublime qui vous hante : je dérange vos plans dans cette ascension spectaculaire.
J’ai peut-être été à l’origine des nouvelles Bases — après les départs successifs des opposants à l’Archyeur et au Grand Conseil — cependant, en aucun cas je ne revendique la paternité du système actuel où vous avez trouvé vacantes les plus hautes fonctions…
Vous êtes assez puissants maintenant pour prendre et tenir un pouvoir que je n’ai pas souhaité.
Phil : - Pas faux… quoique nous ayons été élus démocratiquement par le peuple.
Il n’y a pas de pouvoir à prendre… il nous est confié légitimement !
Toi, tu as hérité finalement — personne ne sait d'ailleurs quand, pourquoi et comment — d’une place à vie, comme membre consultatif de notre Nouvel Austrel.
Je crois bien ne pas me tromper ?
N'est-ce pas, Jeph ?
Jeph : - Hum…
L’ai-je demandée ?
L’ai-je même souhaitée ?
Cette place de vieux sage… la désires-tu ?
Sako : - Oh, mais c’était normal, Phil, à l’époque.
Oui…
Puisque c’est tout de même grâce à Jeph que les Bases se sont constituées.
Jeph : - J’aurais pourtant pu refuser ce privilège ?
Phil : - Non, le cortège de ceux qui t’admirent ne nous aurait pas suivi.
Si tu n’avais pas cautionné — par ta présence — notre Nouvel Austrel, sa crédibilité n'aurait pas été reconnue.
Nous ne pouvions pas t’écarter ainsi du Haut Conseil, sans risquer une perte sérieuse de notre autorité.
Jeph : - Maintenant tout semble bien huilé…
Vous êtes en vitesse de croisière, malgré quelques légers soucis quant aux subtilités de la tectonique des plaques…
Alors, êtes-vous enfin prêts à vous débarrasser de moi ?
Vous n’avez plus besoin de moi.
Je deviens même gênant.
Phil : - Absolument !
Sako : - C’est vrai.
Jeph : - Le temps n’est-il pas venu ?
Il faut m’éliminer…
Mettez vos tabliers et vos cagoules : soyez disponibles et attentifs.
C’est l’heure qui s’annonce pour le commencement des travaux !
Sako : - Sérieusement ?
À t'entendre…
Tu es ton meilleur juge !
Je crois que tu as raison : aujourd’hui donc tu t’annonces.
Le jour est venu.
C’est le moment de réaliser un bilan de ton œuvre.
Phil : - Oui, il faut prévenir les habitants des Bases : les avertir du visage que tu nous dévoiles, malheureusement.
Jeph : - Pourquoi ce mot ?
La joie et la tristesse forment une étrange alchimie, comme l’envie et la haine qui semblent vous animer dès que vous vous adressez à moi…
Me sentez-vous proche de quitter ce monde ?
Les morts sont-elles dorénavant programmées par votre Nouvel Austrel ?
Ai-je une carte d’existence autorisée… qui arriverait à échéance[iv]?
C’est une belle idée à offrir à l’Archyeur : une « euthanazie » réglementée dès la naissance, modifiable selon les faits, gestes, erreurs ou accidents des sujets !
Ou alors ?
Oh…
Pensez-vous que je puisse être victime à mon tour du hasard ?
Phil : - Non.
Je ne sais pas exactement ce que l’avenir te réserve, néanmoins je pense que ton attitude — quasi divinisée par certains — est néfaste pour le bon fonctionnement de notre société.
Nous ne devons pas attendre demain pour agir.
Ta présence pose trop de questions à beaucoup d’entre nous.
D'ailleurs, personne ne sait d'où tu viens, et qui tu es au juste.
Ton passé n'est inscrit sur aucun registre.
Il y a quelque chose d'inconnu qui semble malsain derrière ton histoire cachée de nous tous.
Il est grand temps d’ouvrir les yeux des plus crédules sur tes actions de gourou.
Sako : - Il n’est plus acceptable en effet de continuer sur cette pente qui nous mène à une adoration aveugle.
Jeph : - Faudrait-il donc que je meure afin de ne pas être un dieu pour les hommes ?
Phil : - Quoi ?
Encore un blasphème.
Sako : - Jamais tu n’offrirais le moindre espoir d’avenir aux plus fragiles d’entre tous…
Tu n'as jamais été Notre Sauveur.
Même si tu nous as beaucoup aidés !
Je saurai rétablir la vérité sur toi bien avant que tu ne disparaisses.
Un dieu, c’est l’espérance, le rêve d’une autre vie plus belle, meilleure…
Jeph : - Ah ?
Phil : - Où chacun trouvera sa place — heureux — en sécurité et en paix.
Jeph : - Ce que vous proposez… en fait.
Phil : - Oui… d'une certaine manière, mais en restant modestes.
Pas comme toi !
Ce que nous souhaitons — à tous les membres privilégiés des Bases comme aux malheureux de la Cité — c'est le bonheur.
Il nous faut pour cela un équilibre réel entre le pouvoir et le peuple : nous devons croire ensemble en un avenir plus beau, plus libre.
Goûter presque au paradis, de notre vivant.
Il est donc primordial que nous soyons exemplaires.
L'honnêteté, le respect des lois et une déontologie irréprochable… voilà notre programme.
Tu es beaucoup trop léger avec la morale.
Sako : - Oh oui…
Tu fragilises gravement notre autorité par tes idées malsaines, notamment sur les mœurs.
Il est impossible de diriger sainement ce monde avec des individus comme toi, dont les propos et la vision cynique de la vie incitent au désordre, à la désobéissance… à la perversion.
Tu as l'art aussi de corrompre la jeunesse[v].
T'écouter davantage nous entraînerait vers la folie et la destruction programmée des Bases.
Jeph : - Est-ce que je me réjouis du chaos[vi] lorsque je désire seulement jouir de l’instant sans perdre chaque seconde de mon existence ?
L'anarchie n'est pas le désordre… c'est la volonté d'une hiérarchie horizontale, où chacun est considéré selon ses talents !
N’ai-je pas le droit d’être en paix aujourd’hui lorsque vous, vous proposez une liberté guerrière pour demain ?
Sako : - Regarde-toi…
Écoute-toi…
Tu parles de liberté ?
Tes dires sont plutôt la marque désastreuse d'un égoïsme honteux…
Est-ce qu’un honnête homme ignorerait à ce point le malheur des autres ?
Oublieras-tu un instant ton infâme état narcissique pour comprendre que tu n’es pas seul sur cette terre ?
Tu n’as même pas été affecté du départ vers le Ciel de six des nôtres.
Tu ne nous as même pas demandé ne serait-ce que leurs noms…
Phil : - Et si c’était l’un ou l’autre de tes proches ?
Jeph : - Pauvres de vous…
Méritez-vous seulement mon indifférence à vous entendre déblatérer de pareilles vilenies ?
Du dégoût… du mépris ?
Les mots me manquent… c'est rare…
Que dois-je vous dire ?
De quoi allez-vous tenir compte ?
L'intime de mon cœur — mon jardin secret — n'est certainement pas le centre de votre intérêt politique !
Oui…
Oui…
Je suis déjà passé les voir…
J'ai pleuré auprès d'eux… avec les leurs…
Et vous ?
Un passage médiatisé entouré de caméras pour un "plus jamais ça" larmoyant après s’être assis sur le fauteuil de la maquilleuse… le tout diffusé en prime time ?
Que savez-vous de mon chagrin ?
Vos jugements sont hâtifs, à charge…
Dois-je jouer à ces femmes d'autrefois, payées pour être larmoyantes ?
Ou suis-je contraint d'étaler une compassion travaillée et réglementaire — comme vous savez si bien faire — afin d'entrer dans votre normalité ?
Au-delà de votre spectacle affligeant, étalant au regard des voyeurs ces êtres aimables… n’en restent-ils pas morts ?
Je souffre davantage de votre attitude que de l'absurde de notre existence.
FIDÉLITÉ
Si la terre est fertile, ami sois donc sans peine
À voir des grains mourir sans germer en leur temps...
Malgré l'amour donné, malgré l'offre sereine,
Un faible espoir perdu : ne seront-ils que vents ?
Dois-je guetter l'étoile, affligé des averses,
Alors qu'à mes côtés fleurissent déjà prêts
Ces rameaux parfumés aux essences diverses ?
Ils n'auront pas de fruits, mais qu'importe l'après ?
Comme il faudra choisir, je ne suis pas surpris
Si l'on sait préférer un « Ciel » à l'autre voûte
Où j'ose m'abriter, conscient d’être incompris.
Sans chaîne je suis libre à l'heure où chacun doute
Au regard des puissants aveuglés de mépris
Pour l'être différent qui cherche une autre route.
Sako : - Tu m’insupportes.
Tu n'as aucun respect pour notre certitude en cette après-vie dont nous sommes les porteurs d'espoirs.
Il n’y a pas d'attention chez toi pour les croyances humaines ni de sentiment constructif dans tes dires.
Pourquoi ce rejet de la divinité ?
Jeph : - Peut-être suis-je différent de vous ?
Ne suis-je pas fiché comme monstre, dans votre définition des normes réglementées ?
Alors ?
Dites-moi…
Phil : - Celui qui s'affirme sans dieu n'a pas d'âme humaine.
Ce que je sais de toi suffit pour me donner le dégoût : tu es bien un malade…
Oui, tu es un monstre.
S’il n’y avait pas tant de fous, de pantins ou d’aveugles attachés à tes bottes, il y a bien longtemps que je me serais efforcé de prendre des mesures strictes afin que tu ne nuises plus à la stabilité de nos Bases.
Regarde par exemple l’état de Tomas : un vrai parasite…
Sako : - …Et Franch !
On le croit prêt à adhérer à notre cause le matin, et le soir il rejette nos idées avec véhémence.
Par ta faute, il sème un vent de folie anarchiste.
Son imprédictibilité s’avère vraiment déconcertante.
Nous ne savons même pas s'il est de notre côté ou avec les forces de l'Archyeur !
Jeph : - Franch, ce cher Franch…
Ah… Oui !
Quel mystérieux personnage… plein d'amour et si imprévisible !
Avec ses actions violentes, quel magnifique démiurge !
Il manie avec art les ondes de choc !
Mon bel ami semble s’assurer — lui aussi — le bonheur d’une pseudo-immortalité assez proche de la vôtre.
Cela dit — je le concède — je serais déçu qu’il en vienne à jouer les Caligula.
Sako : - C’est ridicule.
Comment peux-tu comparer les délires inarticulés de Franch avec notre œuvre de bâtisseur ?
Nous, nous donnons un sens à la vie, lui n’en trouve pas.
Oui, nous, les membres du Nouvel Austrel, désirons tous vivre heureux et faisons partager notre espérance.
Le mal — le besoin de rechercher le mauvais — ne peut être qu’un dérangement de l’esprit humain.
Il est possible maintenant de tout rééquilibrer d’une manière très satisfaisante.
Phil : - Nous allons le soigner, et toi avec.
La médecine sait aujourd'hui — par une médication de qualité — effacer les mécanismes qui désorganisent le cerveau humain.
Nous avons fait disparaître les dépressions et les pensées suicidaires, les goûts morbides et autres déviances malsaines…
Tu seras de même guéri de ta folie.
Jeph : - Ah ?
Que proposez-vous à la place ?
Quelle camisole pour moi ?
Les petites pilules rouges, ou les petites pilules blanches ?
Je préfère m’intéresser à ce qui construit l’homme.
Vos formules chimiques le font disparaître.
À l'être fragilisé — pour de multiples raisons dont vous ne vous souciez guère — sous le sage prétexte de le protéger de lui-même, vous lui ôtez le sens de la vie.
Oui, pleurer nous soulage et offre parfois à l’esprit apaisé des créations sublimes[i] !
Je suis davantage attentif à aider le souffrant par l'écoute et l'analyse de l'amour humain... avec l'espoir de voir ce qui l’obsède prendre une moindre place dans son éphémère histoire.
Votre attitude mise au service financier des firmes pharmaceutiques — maîtresses du pouvoir législatif et exécutif — ne donne pas aux êtres fragiles la moindre chance de sortir d’un carcan stérile.
Supprimer ou plutôt cacher les symptômes ne guérit pas la maladie.
Je pense qu’il est peut-être plus sain — au risque honnêtement reconnu d’une déception — de révéler l’être face à ses responsabilités, ses blessures, ses peurs, ses hontes…
J'aspire à inviter l'humain en devenir, au pluripossible…
Mon bonheur est de le révéler dans le choix de sa propre vie : qu'il ose la quête de l’idée du beau, la recherche de l'inconnu ou même une triste volonté de se détruire.
Sako : - Se donner la mort est un crime.
Jeph : - Et l’accorder sans scrupule a fait de vous des héros !
Lorsque vous croyez agir pour la bonne cause, en empêchant une personne de se suicider par une lobotomie chimique, vous la tuez dans sa capacité créatrice.
Le sens même de son existence disparaît.
En effet, sa tristesse, ses blessures, ses peurs sont certainement oubliées… pour un temps… et sa vie avec !
Peut-être y a-t-il — par l'écoute notamment et la recherche d'une harmonie corps – cœur – esprit — des chemins différents qui permettraient à chacun de senser sa vie ?
Je préfère l'échec d’une tentative à l'abandon d'un espoir !
Sako : - Tu fais fausse route, Jeph.
La philanalyse est une impasse.
Il ne faut pas mélanger philosophie et psychanalyse[ii]… C’est hérétique.
De plus, tu n’es qu’un obscur philosophe humaniste.
Tu n’es pas médecin comme Phil…
Phil : - C’est vrai !
Apprends donc que la chimie de notre cerveau est gérable simplement par un utile soutien médicamenteux.
Tu sais très bien que pour le bon équilibre des Bases, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser des individus comme Franch — notamment — développer un mal-être visible par tous.
Franch est l'un des derniers éléments négatifs, avec toi notamment.
Il sera vite oublié de toutes les façons, lorsque nous l’aurons soigné !
Le mauvais ne conduit pas à la mémoire, surtout lorsqu’il est source de massacre !
Jeph : - Pas si sûr !
D’ailleurs, il me semble que les hommes se souviennent davantage de ceux qui ont meurtri leur existence… plutôt que de leurs héros.
Parfois aussi la confusion hante nos mémoires… On glorifie quelques pseudo résistants de la dernière heure tout en maudissant des héros de l’ombre, pour que la politique du moment soit sauve !
Ensuite, puisque l’histoire devient officielle et soumise à l’instruction dans les centres, il est quasi impossible de discuter de la crédibilité d’une reconnaissance nationale[iii].
Il y a bien des sauveurs promus qui sont en fait de belles canailles aux mains ensanglantées et… pour d’autres vilains, c’est selon le goût des maîtres.
Érostrate reste aussi une figure au panthéon des affreux… alors que bien des sages de cette époque antique ont disparu de nos légendes…
L’être humain refuse toujours de comprendre que la mort est naturelle, parfois plus que la naissance.
Les dieux aussi — adorés quelques temps — finissent par prendre la poussière pour céder la place à d’autres vaines espérances en de nouvelles mythologies d'où surgissent des tyrans souvent sanguinaires.
C’est bien entendu la peur qui restera le guide suprême et le levier fidèle de toute nouvelle ère.
Je n’ai ni dieu, ni maître et je ne souhaite pas être le dieu ou le maître de quiconque.
J’aime trop la liberté !
Mon idéal est lié intimement au refus de la violence… et de la souffrance.
Une religion se construit en quelques siècles de craintes et de frustrations… pour asservir l'homme.
Et cependant très peu de temps suffit à certains d’entre nous, pour quitter du regard le mur de la caverne — briser les chaînes des certitudes — et se lever afin de recouvrer la liberté…
Phil : - Nous ne pouvons pas vivre sans idéal réglementé.
Une société a besoin de repères.
Tu sais très bien que depuis la nuit des temps, la foi mène les peuples…
Sans religion, l'homme serait réduit à l'état de bête sauvage[iv].
Jeph : - Non.
Les loups entre eux sont plus humains que beaucoup d’entre vous, sans avoir de divinité.
L’homme n’est pas un loup pour l’homme[v]… il est bien un homme dans toute son horreur… à souhaiter la perte de ses pairs…
Mais l’homme possède la technique…
L’homme est donc bien un « homo faber[vi] »… Cela ne le rend pas cependant supérieur à d’autres espèces animales… il est plus fort pour la guerre, c’est tout… au lieu de profiter du confort !
Peut-être un jour sera-t-il un « homo sapiens », capable de réfléchir, et d’apprendre à aimer.
Connaissez-vous un animal qui ait su recréer le feu ?
L’homme l’utilise plus pour détruire et tuer que pour se réchauffer.
Il manque à l’homme quelque chose pour évoluer : pas des dieux et des morales… mais des valeurs !
L'axiologie[vii]… cette quête d'une sagesse libérée de la morale, offre aux bipèdes prisonniers de croyances, une vie humaniste… basée sur l'amour d’eux-mêmes et des autres, dans la rencontre !
C’est la peur de ses peurs qui conduit l’humain comme un mouton… sautant d’un troupeau à un autre dans le seul espoir de trouver un maître plus clément offrant du pain et des jeux…
Vivre en troupeau ? Peut-être parce que certains ont froid, peur ou faim… l’homme libre n’en a pas besoin… Il gardera sa distance[viii].
Au final, le meilleur des bergers mènera toujours ses bêtes à l'abattoir !
Les religions sont les drogues idéales et complémentaires pour aliéner les faibles[ix].
L’angoisse d’une vie absurde, l’ennui, la solitude, la douleur, la terreur d’un enfer ou du néant, l’incompréhension face à un monde dépourvu de sens… tout cela nous pousse à développer une imagination parfois remarquable où des « dieux uniques » — souvent iniques — côtoient des olympes animaliers.
N’en avez-vous pas assez de renouveler sans cesse des mythes et leurs doctrines ?
Quand donc allez-vous cesser de chercher notre Sauveur ?
Sako : - Nous le révélerons…
Parce que nous possédons la vérité !
Phil : - Nous ne sommes pas des animaux…
Il est nécessaire d’avoir une structure, de croire en un dieu, d'honorer nos ancêtres… de respecter l'autorité.
Jeph : - Ah, la mémoire et le culte des sépultures prend parfois plus d’importance que le bien-fondé de notre réalité.
Laissons les morts incinérer les morts[x].
Les funératoriums sont certainement peuplés de gens irremplaçables, mais j’ai davantage de plaisir à communiquer avec les vivants.
Laissez-moi tranquille dans cette autre recherche du sens de l’existence… Je refuse la contrainte de suivre des idées qui ne concordent pas avec ma quête.
Prévenez-moi lorsque vous l'aurez trouvé… notre sauveur !
Gérez vos adeptes, faites ce que vous voulez… mais de grâce, oubliez mes amis, mes amours…
Ne perturbez plus Tomas.
Comme beaucoup, il aspire à la paix.
Sako : - J'en doute…
Et même si cela était vrai, il ne doit pas ignorer ou rejeter le système étudié au mieux pour le bien de tous.
Jeph : - Nous n'en demandions pas tant[xi] !
Que fais-tu du bonheur d’un seul ?
Votre prosélytisme est une redoutable machine de guerre !
Vous fabriquez des clones…
Phil : - Vivre en société implique le respect de lois inscrites dans des codes.
Il faut parfois savoir sacrifier un égoïsme malfaisant pour voir un monde meilleur s’édifier.
Jeph : - Vous n’hésiteriez donc pas à supprimer les individualismes gêneurs ?
La Chalystime ne vous a pas suffit ?
Sako : - En effet.
Il est nécessaire d'évoluer vers un équilibre absolu.
Au-delà du handicap physique, nous luttons maintenant pour voir disparaître les individus qui n'entrent pas dans la normalité morale.
Pas de liberté pour les ennemis de la loi[xii] !
Il n’est pas concevable de laisser germer de détestables attitudes.
Tous les membres du Nouvel Austrel sont de notre avis puisqu’une majorité a voté pour.
Phil : - Tout-à-fait, Sako !
Une élection — même à une voix près — légitimise cette décision de l’Austrel.
Jeph : - Parfait !
Grâce à la magie, à l’illusion de la démocratie, l'eugénisme atteint son paroxysme…
Vous voilà disposés à nettoyer les Bases de toute réflexion contradictoire.
Vous allez réaliser petit à petit un monde identique à celui que vous avez quitté sous mon influence !
Je suis désolé.
Qu’allez-vous faire pour n’avoir que de dociles esclaves stériles autour de vous ?
Comme l’Archyeur ?
Ah !
Après le Nouvel Austrel, voilà pour très bientôt la Nouvelle Chalystime ?
La Perfection s'annonce…
La fin de l'homme est proche[xiii] !
Phil : - Jeph, ne sois pas ridicule.
La mesure prise avec l'opération nommée Chalystime fut mûrement réfléchie en pleine considération de l'éthique du Conseil de l'Ordre des Médecins et décidée sous la Haute Autorité de la Guilde, gérant la banque des États Réunis[xiv]. Tous les présidents des consortiums étaient présents.
La finalité de cette épreuve était guidée par des sages, attentifs à la misère concentrationnaire d’une population moribonde !
Quant à l’usage de la greffe seconde, l’Archyeur et le Grand Conseil voulaient à bon escient ôter aux hommes la possibilité de penser mal…
Jeph : - …De penser…
Phil : - …Mal.
Jeph : - C’est la même chose.
Ne plus pouvoir réfléchir, c’est perdre l’essence même de son humanité !
Un âne apprivoisé meurt s’il a aussi faim que soif… sans maître pour décider à sa place !
Vous nous faites régresser au rang des abeilles, à dépendre totalement d’une reine… autorité légiférant en tyran sur ce qu’elle juge bon ou mauvais…
Sako : - Non.
La reine des abeilles veille au bien-être des abeilles de la ruche, tout comme nous, qui aspirons au bonheur de tous. Cependant — pour les humains — il y a des devoirs, et un apprentissage de la vie commune. Ce n’est pas inné donc c’est obligatoire.
C’est l’éducation civique.
Grâce aux greffes, plus besoin de dix ou quinze ans d’une formation apprise parfois de manière aléatoire.
Tout cela est une question d’éducation, nous avons simplement gagné du temps : le socle est commun, afin que chacun crée ce qu’il veut, dans le respect des fondamentaux.
Jeph : - Vraiment ?
Votre apprentissage est plutôt un douloureux endoctrinement.
Et je trouve la reine des abeilles plutôt malhonnête avec son peuple.
Elle a en effet passé voici fort longtemps un pacte scandaleux avec l'homme…
Phil : - Pardon ?
Jeph : - Oui.
Le miel de la honte !
Depuis des centaines de milliers d'années probablement, les ouvrières besognent deux fois plus pour qu'un parasite vole le fruit de leur travail, en accord avec la reine… consentante.
L'alliance entre l'homme et les abeilles est loin d'être respectueuse pour ces insectes courageux[xv].
J'imagine souvent une de ces petites bêtes proposer de modifier la recette du miel pour qu'il soit impropre à la consommation des humains…
Ah, et si nous transformions… couic !
Les espions de la reine sont là pour une mise à mort instantanée !
On ne change pas les bonnes habitudes.
La reine se trouve en sécurité, son peuple travaille doublement pour satisfaire ses caprices !
Vous êtes comme l'Archyeur…
Le prince Érik règne comme une reine sur sa Cité… et vous voulez aussi tous les pouvoirs sur les Bases.
Phil : - Personne ne peut adhérer à de tels propos.
Tu es fou, Jeph.
Nous savons tous que l'humain est bon pour les abeilles… C'est une alliance légitime !
Cette conversation est ridicule !
Nous sommes le sens de la vie des abeilles.
Sako : - Et nous, avec le Nouvel Austrel, nous structurons des hommes libres dans un espace défini pour le bien de tous, avec un épanouissement certain… sans violence, haine ou passion destructrice.
Ce pourquoi nous pouvons condamner l’Archyeur, c’est de ne pas avoir préparé le peuple, en lui imposant les greffes insuffisamment sélectives.
Érik a été maladroit.
Phil : - Notre manière d’agir est différente.
Nous avons, au Nouvel Austrel, un programme de réformes établi sur un projet adapté, pour que tous s’efforcent — honnêtement — de le suivre, afin d’être heureux.
Sako : - Comme le bonheur est l'unique espérance de tout homme, nous savons que l’ensemble des sociétés — naturellement — prendra faits et causes pour nos règles idéales !
Jeph : - Oui, exceptés celles et ceux qui réagiront différemment à votre conception du plaisir.
Le drame de la greffe seconde va plus loin que ce que vous voulez admettre.
Ce que je remets en cause n’est même pas le fait d’implanter dans le cortex des aides à ne plus penser…
Les drogues plus ou moins légales et les médications fortement conseillées, voire obligatoires font déjà un travail considérable pour lobotomiser le peuple.
J’admets que cela puisse plaire à certains qui continuent d’ailleurs à voter pour légitimer le tyran qui décidera pour eux.
C’est désespérant mais beaucoup de bipèdes ne veulent pas se fatiguer à utiliser leur cerveau.
Les moutons cherchent encore un berger.
Ma révolte est davantage égoïste : c’est que vous m’imposiez cette fichue greffe — chose que je n’accepterais jamais — comme d’autres ont imposé à une époque ancienne des baptêmes dans l’esprit, voire parfois dans la chair où l’on osait mutiler des enfants[xvi].
Tout cela pour satisfaire la volonté de quelques dieux, l’adhésion à un clan ou une tribu.
Chacun devrait être libre d’évoluer ou non, mais pas sous la contrainte ou la peur.
Les abeilles comme les fourmis sont peut-être — pour la plupart — satisfaites de leur sort. Que les rares éveillés — en contradiction avec le système — puissent sortir discrètement de la ruche ou de la fourmilière et partir à l’aventure !
Vous êtes comme nous des hommes en devenir.
Pourquoi voulez-vous imposez la stagnation à l’état de bipèdes formatés pour le bien d’un système, à nous tous… comme l’a décidé l’Archyeur ?
Quel intérêt a l’existence si vous en reniez la matière ?
Il y a toujours le petit enfant posé dans son magnifique parc, qui souhaite finalement en sortir… et je ne conteste même pas le fait qu’il veuille y retourner un jour… si ses jouets y sont !
Aussi, une chèvre ne se contentera probablement jamais d'un espace délimité par une chaîne[xvii] !
Vous ne pouvez pas — hélas, en raison de votre état dramatiquement binaire — imaginer l’éventualité des pluripossibilités…
Vous devriez sérieusement craindre que certains individus hors normalités ne se modèlent pas étrangement dans votre plan de sauvegarde !
Inquiète-toi de les voir se rallier à des idées quelque peu différentes, Sako !
Sako : - Tu vois, Phil, il avoue n’être pas d’accord avec le Nouvel Austrel, quant à la proposition de salut…
Phil : - De plus… le voici prêt à fomenter une révolte, avec son noyau de fanatiques.
Jeph : - Pas une révolte… ni même une révolution !
Je tenterai bien une évolution !
Ah, oui… Vive l’évolution !
Sako : - Tais-toi !
Mais tais-toi donc…
C’est fini, Jeph !
Tes critiques vis-à-vis de nos projets sont ignobles.
Je crois aussi que ta réaction après le drame du Lac de Soufre est suffisante pour nous permettre enfin de te discréditer.
Comme tu n’es pas sensible aux conséquences de ta faute, nous saurons demander à notre Conseil de prendre au plus vite des mesures répressives à ton égard.
Phil : - Assurément.
Il est inutile de te juger lors d’un procès coûteux.
Tu ne trouves pas anormales les attitudes de Franch, de Tomas et des autres…
Tu les assures de ton soutien alors que leurs méfaits — comme leur insouciance — mettent en péril la sécurité de nos Bases.
Même les plus craintifs — face à la réaction de tes prosélytes — sauront saisir l’occasion de te destituer.
Je pense que tu vas enfin te retrouver face à toi-même, mon pauvre Jeph…
Seul !
Tout seul.
Jeph : - C’est certain.
Seul…
J'en ai pris l'habitude, sans apprécier cependant.
Résigné peut-être ?
Pas encore aigri.
Vous voulez à nouveau diviser ?
Vous êtes toujours attentifs à ce que les êtres que j’aime disparaissent de ma route ?
J’ai heureusement — pour communiquer — l’immensité des espaces oubliés…
MONTAGNE ET SOLITUDE
Une route est maussade au pas qui se fait lourd.
Dans cette immensité, mes passions s’éveillent :
Tout semble démesure et conforte ma peine.
À mes sens endormis se fonde une chimère
Donnant forme et naissance aux espoirs les plus fous…
J'anime chaque souffle en désir, en attente
Où s'offre ton visage.
J'espérais t'enlacer pour crier mon amour
Sans cependant savoir me dévoiler amant.
Pourrais-je vivre un jour à l'ombre de moi-même ?
Vous êtes bien ensemble et tissez quelques liens
Pour me laisser tout seul, abandonné, sans pair.
Qui se sentait de taille à conter ma nature ?
Sachez-le, dites-le : je ne suis pas d’ici,
Cette époque m’ennuie.
Si mon rire vous sied, un sourire ou ces larmes,
Je vous laisse apaiser votre soif à la source...
Elle ne peut tarir, elle est là pour vous plaire !
Mais, vous tous, entendez, il n'y aura personne
À songer une nuit, près de moi dans ma couche,
Animer un instant les rêves merveilleux
D'une vie partagée...
D'une vie sans partage.
Montagne tu es là pour me montrer le ciel.
Ta présence me donne en ces jours douloureux
La force de jaillir au-delà du néant.
Illusion ?
Chimère ?
Comme toi je suis seul.
L'enfant qui près de moi s'approche radieux
Semble une simple pierre, une fleur ou quelqu’ange
Et ne saurait percer les secrets de mon être.
S'il vous plaît de me voir sous un autre visage,
Oubliez mes propos : j'oserai m’éveiller
Pour surgir dans vos nuits ; hanter cette existence
Que chacun de vous gâche et ne mérite pas.
Comment t'ai-je un hiver imaginé dans l'ombre,
Ô présence impossible, aux flammes d'un grand feu ?
Mirage d’une nuit ?
Ce fut un court printemps n'ayant pas à l'été,
À l'automne de même, osé le moindre espoir
Pour la fleur et le fruit d'un amour passionné.
Tout devra s'achever lorsque chacun des pas
Tracé sur ce chemin sera pour l’un et l’autre
Un lointain souvenir.
J'aurai versé le sang afin de prendre vie.
Las ! Ma passion me perd : ai-je su lui parler ?
Et voici que je meurs avant d'avoir aimé.
Jeph : - Ce n’est pas avec vous notamment que j’aurais pu construire une quelconque amitié, voire un amour sincère…
Enfin… c’est ainsi.
L’on m’attend maintenant.
Votre chronique d’une mort annoncée est touchante, presque crédible, mais j’ai l’ambition de cheminer encore un peu, alors…
Phil : - Non, ne pars pas.
Tu dois répondre à nos…
[Jeph a allumé son transfaxe et disparaît des lieux.]
Phil : - …Ah, nous réussirons, Sako.
Il ne faut pas laisser cette nouvelle affaire sans suite.
Le Nouvel Austrel doit être prévenu dès ce soir.
Sako : - Jeph payera.
Il se moque de nous.
Oui, Phil…
Il faut que cela cesse.
[Sako et Phil se téléportent à leur tour.]
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Par Yves Philippe de Francqueville, pirate des mots et philanalyste.
Auteur : Yves Philippe de Francqueville