Une promenade socratique avec Yves Philippe de FRANCQUEVILLE, philanalyste et pirate des mots…
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Vivre libre ou mourir ?
Socrate a déjà bien vécu…
Puisque son heure est décidée par l’assemblée des juges… Ce sera chose entendue !
Notre philosophe ne souhaite pas tricher avec lui-même.
Socrate promet un coq à Asclépios avant de boire la ciguë. Le dieu guérisseur, ancêtre d’Aristote, est présenté comme celui qui fut fidèle et respectueux des suppliques de son patient.
Quelle guérison mérite une telle offrande de la part d'un condamné à mort ?
Laissons une bonne fois pour toutes celles et ceux qui saisissent la facilité comme mode de conduite… pour oser notamment perpétuer cette idée (ridicule à mes yeux), que « Socrate désirait mourir et se voyait guéri de la vie ».
D’Alphonse de Lamartine à Georges Dumézil… ou pour citer Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff. (C’est cependant un des solides chercheurs des copies trichées de l’œuvre de Platon mais aussi celui qui doute beaucoup des propos rapportés de Socrate)… et rappeler encore Friedrich Nietzsche. Absurde raisonnement simpliste laissant au monde des profanes l'image d'un personnage sans goût pour les plaisirs de son corps… Voilà encore une préfigure réductrice d’un paradis futur où le corps ne serait plus là pour pervertir l’esprit.
Dangereuse hypothèse posée en vérité parce que les réponses ne semblent pas saisissables.
Un long travail de recherche m'a permis de penser et de proposer l'idée d'une réelle guérison obtenue par Socrate. Son attention pour les dieux de son peuple et l'éducation poursuivie auprès de ses élèves, le pousse à intervenir à deux reprises en demandant à Criton de payer ce fameux coq[1] — témoignage de son état pour ses suivants comme pour les civilisations à venir.
Oui, Socrate est un éducateur… Si Xénophon ose le qualifier de paresseux et de semeur de discorde au sein des familles, c’est peut-être par jalousie face à un mode d’éducation qu’il n’arrive pas à respecter : Socrate propose ce que François Rabelais développe dans son Abbaye de Thélème[2] : « fais ce que tu veux », mais fais le bien, n'oublions pas de préciser.
C’est une invitation à apprendre, à se construire, sans rester prisonnier des peurs imposées par la société.
Oui, la curiosité est une grande qualité !
Rien de comparable avec les propos de Saint Augustin[3] qui, sortis du contexte, semblent sains mais s’avèrent redoutables : le trop célèbre « aime ton dieu et fais ce que tu penses juste » nous entraîne vers les guerres religieuses ou laïques les plus terribles et durables !
Sans reprendre et développer ce que j'ai déjà écrit, je donnerai la conclusion de mes premières découvertes :
Socrate remercierait alors un dieu pour l'avoir guéri de ses peurs ?
Ce n’est plus tout à fait mon raisonnement d’aujourd’hui !
Voilà que mes recherches se poursuivent, ma quête évolue donc et ce que je pense maintenant diffère :
Socrate s'annonce plus particulièrement guéri d’une peur… Il est guéri de sa peur de la peur de la mort[4].
Oui.
C'est sans crainte qu'il accepte de boire la ciguë.
Ce n'est pas pour autant avec plaisir comme certains l'écrivent… ou avec désir.
Non.
Socrate n'est pas heureux d'une telle situation car la vie sait aussi être richesse de rencontres, de partages et source de connaissances. Il n’est plus en colère cependant ; il calme ses amis, les invite à se dominer[5]…
Soit, il n’y a pas plus de bonnes raisons de vivres que de mourir, nous rappelle cependant Albert Camus dans le Mythe de Sisyphe. Socrate est donc libre d’affronter l’absurde. Emil Michel Cioran apprécie cet acte[6] dans ses Rencontres avec le suicide, mais je ne souhaite pas lui donner raison. Je préfère l’espérance de Blanche Merz[7] qui nous convie à ne pas perdre un seul des plus beaux instants de notre vie présente…
Socrate meurt.
Platon devient-il immortel ?
—————————— notes
[1] Platon, le Phédon : « Criton, nous devons un coq à Asclèpios; payez-le, ne l'oubliez pas ».
[2] Devise de l’Abbaye si chère aux rêves de François Rabelais « Fays ce que vouldra ».
[3] Saint Augustin : La cité de Dieu : « au paradis, l’homme sera libre car il ne pourra plus pêcher ».
Cette affirmation nous donne toute la confiance d’un homme pour son dieu à qui il abandonne ses pleins pouvoirs. Quelle catastrophe que de nous imaginer sans liberté de penser, de choisir… de vivre donc !
La liberté n’est pas d’être contraint au bien, imposé par l’autre, selon ses critères, mais de chercher ce qui nous est agréable et ce qui nous semble constructif… peut-être dans une prise de conscience que l’autre existe et saurait être aimable !
[4] Brillant mémoire de maîtrise en Théologie — selon les dires et écrits de ses professeurs — ayant pour sujet : « de l’Immortalité de l’âme chez Platon » par Yves Philippe de Francqueville… Travail réalisé lorsqu’il était étudiant dans l’Ordre des frères Prêcheurs… Bientôt proposé en ligne dès que sa « relecture et son actualisation » sera effective.
[5] Platon, Le Phédon : « Allons ! du calme, de la fermeté ! »
[6] Emil Michel Cioran, Le mauvais démiurge : « Le suicide est un accomplissement brusque, une délivrance fulgurante : c’est le nirvâna par la violence ».
[7] Blanche Merz, Géo-biologiste. Elle est l’auteur de : Savoir Mourir ; le suicide n’est pas une solution.
Vers la
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Une promenade socratique avec Yves Philippe de FRANCQUEVILLE, philanalyste et pirate des mots…
Auteur : Yves Philippe de Francqueville
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