© Le cycle de l'Austrel, tome second : Notre Sauveur, des écrits de Yves Philippe de Francqueville, pirate des mots et philanalyste. sixième partie.
Phil : - Que viens-tu faire ici Franch ?
Nous nous préparons pour un Haut Conseil restreint…
Sako : - Il est incroyable de constater la présence de relais traxyls privés jusqu'à notre salle de l'Austrel.
Quel est le code de l'Œwyslt ?
Franch : - Peut-être voudriez-vous interdire le port des transfaxes ?
Sako : - Cela serait certainement plus sage d'en contrôler davantage l'usage. La sécurité et l'harmonie de nos Bases en seraient renforcées !
La plupart de ces appareils sont portés par les moutons de Jeph.
Franch : - Dont je suis, crois-tu ?
Phil : - C'est toi qui le dis !
Franch : - Toi aussi tu possèdes l’un de ces sublimes engins.
Jeph t'en a d’ailleurs appris le fonctionnement.
Phil : - C'est du passé.
Puisque tu es ici, j'aimerais en savoir la raison.
Sako : - Phil, dis-lui de repartir, on nous attend et il doit entrer en contact à l'heure prévue.
Si tu n'es pas devant le récepteur, tu risques fort d'être discrédité.
Phil : - C'est vrai.
Désolé Franch, tu dois nous laisser…
Franch : - Je pense être en droit de participer au Nouvel Austrel.
Je suis membre consultatif à vie.
Sako : - Pas pour ce Haut Conseil restreint.
Seuls ceux qui ont droit de vote peuvent y participer…
Franch : - Et leurs invités d'honneur ?
Phil : - Quoi ?
Franch : - Vous savez modifier les lois sans nous consulter.
Votre attitude n'est pas toujours glorieuse…
Moi, je m'adapte !
Sako : - C'est nous qui légiférons pour vous assurer la meilleure des vies possibles.
Nous avons été élus pour cela.
Phil : - Tu dois nous obéir.
Sako : - Le rapport que tu as vis-à-vis de l'autorité est inadmissible.
Ton attitude est problématique.
Comment oses-tu juger tes supérieurs, alors qu'ils agissent à la demande du peuple, pour le bien de la société ?
Franch : - Premièrement, je n’ai pas voté pour vous.
Je pense honnêtement qu’il n’y a pas de légitimité à tout pouvoir offert à l’autre sous cette forme de lâcheté.
La démocratie est une fausse bonne idée.
L’homme devrait plutôt s’assumer sans toujours se réfugier dans l’abandon de ses droits à des êtres élus qu’il juge vainement plus qualifiés que ce qu’ils sont, et soi-disant intègres.
Deuxièmement, j’ai décidé de participer à ce très Haut Conseil fort restreint… comme invité d'honneur.
Troisièmement, tant que je suis vivant, j’ai pris le parti de faire ce qui me plaît !
Quatrièmement, dire ce que je pense de vous… serait plutôt grossier, si je devais m'exprimer à voix haute !
Alors vous allez devoir me supporter bien gentiment !
Phil : - C'est impossible.
Sako : - C’est interdit.
Et qui t’inviterait ?
Franch : - Vous avez tant d'effroi à ce que je dévoile — à l'ensemble des Bases — ce qui se trame pour ce grand soir ?
Sako : - J'ai peur, Phil, qu'il n'en sache plus que tu ne le craignais.
Phil : - Franch, où souhaites-tu en venir ?
Je n'ai que faire de tes menaces à peine voilées !
Si tu prêches le faux pour apprendre ce qui ne te regarde pas, tu risques d'être bien déçu…
Franch : - Cela suffit…
Vous êtes pitoyables.
Ne jouez plus aux innocents !
Je suis ici ce soir afin de dialoguer avec votre invité mystérieux.
Ma venue est programmée dans un dessein très précis.
Ma présence vous sera utile.
Sako : - Qui d'autre est censé être averti de notre rencontre ?
Franch : - Ne suis-je pas suffisant ?
Sako : - Jeph ?
Franch : - Il n'est pas pur esprit…
Pourquoi êtes-vous habités par la peur dès que l'on évoque son nom ?
Phil : - C'est qu'il est très…
Franch : - Puissant ?
Sako : - Diabolique plutôt !
On ne sait jamais où le trouver.
Il est cependant trop souvent là où l'on ne l’attend pas…
Sa présence paralyse beaucoup de nos faits et gestes…
Franch : - Ce soir, c'est avec moi qu'il vous faut entretenir le dialogue.
Sako : - Si nous le refusons ?
Franch : - …Alors que mes propos sont censés vous aider ?
Sako : - Personne n'est indispensable.
Franch : - Pas même toi, mon gros Sako… ni toi, Phil.
Phil : - Cependant… malgré tes doutes et ces invectives, nous sommes en possession du pouvoir légitime.
Notre état implique un comportement en conséquence !
Sako : - Tu penses comme moi ?
Phil : - Oui, “Il” nous attend.
Charge-toi de maîtriser ce rebelle.
Tu as les pleins pouvoirs avec le droit d'user des mesures extrêmes, si nécessaire.
Tu peux appeler la garde instinctive…
Franch : - Dommage qu'il faille me kryfluxirer…
J'ai prévenu l'Archyeur de ma présence à l'Austrel ce soir !
Il m’attend aussi, fortement intéressé par mes idées…
Phil : - Quoi ?
Sako : - Tu as des contacts directs avec l'ennemi ?
De quel camp es-tu ?
J'ai bien sous-estimé le monstre que tu es !
Franch : - Allons, calmez-vous !
Votre noble charge implique une attitude digne.
N'ayez pas peur.
Venez avec moi : le petit Conseil restreint nous attend, car l'arrivée de votre invité — qui n’est plus secret — s’avère imminente…
[Des écrans s'allument et des rayons lasers fusent.
Un hologramme se construit pour envahir une grande partie de la salle, présentant un être difforme par sa grosseur démesurée, avachi dans un trône immense : Érik, l'Archyeur.]
Phil : - Salut à vous, respectable Archyeur.
Sako : - Salut à vous, vénérable Archyeur.
L’Archyeur : - Paix et bonheur à vous tous, par la grâce de la sérénité et l’amour de la vérité.
Il est précieux de voir Franch à ce Conseil.
Franch : - Hum !
Tu m'as l'air en belles formes, Érik !
L’Archyeur : - Toi de même.
Merci, Franch.
Ai-je la satisfaction de retrouver votre Nouvel Austrel épuré de ses membres fanatiques ?
Avez-vous réussi à supprimer définitivement la tête venimeuse ?
Phil : - Tous les moyens sont mis en œuvre…
Sako : - Oui… Jeph sera mis hors de nuire au plus tôt.
Nous sommes extrêmement attentifs au bon déroulement de l'opération.
Nous craignons — si nous ne sommes pas assez prudents — de le voir élevé en martyr…
Franch : - Et pourquoi pas en dieu ?
L’Archyeur : - Ah, ah, ah !
Eh bien, bon courage.
Vous n'avez donc pas fini de souffrir de sa présence ?
Il joue certainement encore au sauveur !
Sako : - C'est intolérable.
L’Archyeur : - Hélas…
Vous ne pouvez pas saisir le danger qu'il représente… si vous ne comprenez pas qui est ce monstre.
Je suis le seul à avoir conservé en mémoire une infime partie de son souvenir.
J'avais prévu cet élément de secours si par malheur, il revenait malgré tout sur la scène.
Hélas.
Sako : - Je ne comprends pas…
L’Archyeur : - Ce soir, vous devez savoir.
Celui que vous nommez Jeph…
Franch : - Est en réalité Yeph…
L’Archyeur : - C'est impossible que tu le saches, Franch…
Comment as-tu pu ?
Non…
Phil : - Qu'est ce que tout cela ?
L’Archyeur : - Rien.
C'est du passé : oublions.
Faisons table rase de cette histoire[i].
Nous en reparlerons autrement.
Apprenez déjà que Jeph est toxique pour la bonne entente de nos Austrels.
Le danger représenté par ses adeptes et surtout par ses retrouvailles, je veux dire par sa rencontre avec Tomas — dont ils ont su ôter la bienfaisante greffe — n'est surtout pas à négliger.
Je lui ai pourtant supprimé toute humanité négative, à ce cher petit, mais la force obscure d’avant le Grand Jour — malgré la Rumeur — subsiste.
Cela dépasse la raison même.
Je ne réalise pas encore vraiment…
Sako : - Grand Archyeur, vos propos sont difficiles à comprendre, cependant, soyez rassuré pour Tomas, il paraît atteint de…
Franch : - …Suffit Sako !
Cela n’est pas notre sujet…
Ah…
Votre lâcheté est à vomir !
Vous paierez tôt ou tard — tous sans exception — votre absurde notion du bien et du mal, castratrice et avilissante.
RÉVOLTE
La mort est ma compagne en ce premier automne
Où les murs de ma chambre se sont rapprochés.
Je me trouve sans voix lorsque l’orage tonne
Annonçant le départ de mes amours cachés.
J’étouffe peu à peu sous un ciel assourdi
Par les nuits et les cris de ma sombre existence.
Serait-ce mon destin : trahi, voire tiédi,
Avant d’avoir rejoint la terre et le silence ?
Pourquoi donc suis-je né dans ce siècle affadi
Par ces gens sans espoir, à la volonté mièvre :
Ils ne savent pas vivre et moi, fier et hardi,
Me voici condamné au sang et à la fièvre !
Non ! Je suis animé d’une puissance étrange :
Médiocre, tu ne peux jaillir du brasier bleu
Élevé pour guider la révolte d’un ange...
La justice immanente a mis le ciel en feu !
Sako : - Voyez, Franch est certainement un traître au service de Jeph…
Phil : - Ou de Yeph…
C’est un félon… ami d’un renégat !
J'en suis convaincu aussi !
L’Archyeur : - Évitez de me couper la parole.
Nous trouverons une autre solution pour supprimer Jeph en temps voulu.
Si Franch est présent à ce Haut Conseil, c'est qu'il a ma confiance… tout comme je vous l’accorde.
En cas de disgrâce, il sera naturellement châtié… je vous punirai de même sans scrupules au cas où votre parole viendrait à manquer.
Écoutez-moi.
Ce soir, je dois expliquer le projet qui nous réunit et recevoir votre accord pour collaborer ensemble.
Oui, nous savons que nos deux civilisations sont puissantes.
Cependant encore, la surpopulation s'annonce déjà, avec le grand risque d'affaiblir nos Austrels.
Il n'est plus concevable de fournir un travail, du pain, des jeux, à tous… dans les meilleures conditions !
Nous pensions nous étendre dans les zones sauvages abandonnées depuis la Chalystime… mais cela risque d’être trop complexe — trop coûteux surtout — pour un résultat moindre.
Frado à mes cotés nous l’a confirmé au nom de la Guilde et des consortiums…
Nous craignons notamment d'être dépassés par le temps.
Poser des plans sur trop de cycles ne nous assurera pas la réussite attendue.
Aussi, il y a urgence…
Phil : - C'est vrai : la tension monte.
Les habitants de la Cité, comme ceux des Bases, craignent pour leur avenir.
Ils réclament de l'espace, un air plus purifié, davantage de pouvoir d’achat…
Sako : - Auriez-vous une idée, ô grand Archyeur ?
L’Archyeur : - Je crois que Franch saura vous expliquer son projet.
Sako : - Franch ?
Franch : - Tout à fait.
Tu vois mon petit Sako…
Je ne suis pas ici par hasard !
Alors…
L'important — après analyse — c'est bien que les deux Austrels et leurs Grands Conseils soient stabilisés dans leur volonté de puissance.
J’aime cette soif de commandements qui vous anime et votre curieuse idée de justice.
Sako : - Pas de coup bas.
Diriger le peuple est notre affaire : nous avons été élus pour cela.
Ne critique pas une réalité accueillie et établie.
Franch : - Ah, ah.
Soit.
Alors, écoutez-moi attentivement…
[Dans une pénombre progressive,
Teintée de lumières rouges et bleues, nous voyons les membres du conseil restreint s’animer et décider du sort de l’humanité par la reprise du poème « Si j’écrivais l’Histoire », lu à pleine voix sur les bruits en fond des explications de Franch.]
[Voix de Yeph :]
Si j’écrivais l’Histoire :
L’air du temps de ces jours semble étrange et me fuit.
Tout sature en ce monde : on construit, on élève
Un sordide univers où le fer et l’humain
S’entassent sans raison. J’imagine un demain
Les puissants de la terre…Et l’un d’entre eux se lève
Au cours du haut conseil au secret dans la nuit.
« Silence ! Écoutez-moi ! » S'écrit-il en grand frère ;
« Refusons tout espoir, de vaines illusions,
Qui donnerait sur l’heure à qui voudrait y croire,
Le retour d'un Sauveur, dans une immense gloire.
Il serait bon qu’enfin, sans crainte, nous osions
Reconnaître la mort comme point de repère !
Il est temps mes amis de nous entre-tuer.
Détruisons les nations, donnons du sens à l’homme ;
Il nous faut des martyrs, de prodigieux héros…
Mais aussi quelques vils et pauvres numéros :
Longue liste infernale de bêtes de somme,
Enfants, femmes, vieillards… Sachons sans fin tuer ! »
Alors qu’ils écoutaient — vénérable auditoire --
En un commun accord, au dernier mot lancé,
Tous ensemble debout, voici qu’on félicite
À l’unanimité l’offre sans plébiscite,
Où la guerre est pesée, où le mort est pensé…
La terre se nourrit du sang de son histoire.
La terre se nourrit du sang de son histoire.
La terre se nourrit du sang de son histoire.
La terre se nourrit du sang de son histoire…
© Le cycle de l'Austrel, tome second : Notre Sauveur, des écrits de Yves Philippe de Francqueville, pirate des mots et philanalyste. sixième partie.
Auteur : Yves Philippe de Francqueville
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